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déjà beaucoup trop de dispositions à s’endetter outre mesure. Aujourd’hui, lorsqu’une de nos divisions territoriales et administratives a obtenu du parlement l’autorisation de contracter un emprunt, elle est obligée de s’adresser à un établissement de crédit, généralement au Crédit foncier, qui transforme sa créance en titres négociables sur lesquels l’État prélevé un impôt. Il en résulte que ces opérations sont assez onéreuses malgré les taux modérés d’intérêt auxquels elles peuvent être effectuées, et que départemens et communes hésitent avant de s’engager. Mais aujourd’hui la chambre leur dit : ne vous restreignez plus dans vos dépenses ; lancez-vous dans les travaux publics ; je vous ouvre le plus vaste réservoir de capitaux du monde entier, la Caisse des dépôts et consignations. Puisez-y largement, sans crainte ; là vous trouverez à emprunter au plus juste prix, à 1 pour 100 moins cher qu’au Crédit foncier.

Communes et départemens ne se le feront pas dire deux fois. Les emprunts se succéderont sans nombre non-seulement pour des dépenses nouvelles, mais pour le remboursement des emprunts contractés naguère au Crédit foncier à un taux d’intérêt plus onéreux. Ainsi, d’un côté, le gaspillage organisé ; de l’autre, une concurrence ruineuse instituée par l’État contre un établissement de crédit dont le gouverneur est nommé par l’État et dont la solidité et la prospérité sont des élémens essentiels au maintien de la fortune publique.

Exagérons-nous ? Le portefeuille actuel des prêts communaux au Crédit foncier est d’environ 1,200 millions de francs. Ce portefeuille rapporte une somme minime, environ 1,800,000 francs, 15 centimes pour 100 francs, frais déduits. Les prêts sont représentés par des obligations que le Crédit foncier a dû émettre au-dessous du pair, et qu’il devra plus tard rembourser au pair. Si on donne aux communes et départemens la faculté d’emprunter directement à la Caisse des dépôts et consignations, sans création de titres négociables, passibles de l’impôt, on décrète pratiquement, pour le Crédit foncier, la perte de son portefeuille de prêts communaux : ceux-ci seront tous remboursés, et le Crédit foncier devra à son tour rembourser immédiatement au pair toutes les obligations correspondantes. L’écart entre la valeur des primes de remboursement payées dès maintenant par anticipation et celle que le jeu régulier de l’amortissement à long terme attribue aux mêmes primes est évalué à 150 millions au moins. Comment veut-on que le Crédit foncier soit exposé à une perte de cette importance sans qu’il en résulte un ébranlement pour tout le marché de Paris ? Mais nos députés ont bien songé vraiment à toutes ces