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banqueroute morale. Ministre, rapporteur, opposans, tous ont été d’accord sur un point, que les déposans étaient assurés d’être remboursés dans tous les cas, sauf dans ceux de guerre ou de révolution, c’est-à-dire justement quand les remboursemens seraient le plus nécessaires. On s’était flatté devoir la chambre donner quelque liberté d’action aux caisses d’épargne ordinaires ; la loi nouvelle les attache plus étroitement que par le passé à l’action toute -puissante de l’État. Elles conservaient quelques apparences d’autonomie, on les transforme en simples succursales de la Caisse des dépôts, on leur refuse même la plus petite part dans le choix des emplois pour leur fortune personnelle.

Plus que jamais triomphe la conception de l’État dépositaire des épargnes populaires, de l’État banquier unique, non plus seulement des déposans isolés, mais des communes, des départemens, des chambres de commerce, de l’État absorbant chaque année les sommes énormes qui auraient pu vivifier le commerce, l’industrie et l’agriculture, de l’Etat garantissant à huit millions de livrets, à la fois la sécurité du capital, l’élévation du taux de l’intérêt et même le remboursement à vue, aussi longtemps que ce remboursement ne sera pas demandé en masse, de l’État, maître de tout, du marché de la rente, comme du crédit aux communes, compromettant la prospérité d’un établissement placé sous sa sauvegarde, sollicitant l’épargne privée et offrant une prime à la prodigalité communale.

Laissons le dernier mot à M. Hubbard, qui, dans ce débat, s’est très vaillamment, bien que si vainement escrimé contre l’esprit de centralisation à outrance, et qui osait demander un peu plus de liberté pour les caisses d’épargne : « Je sais bien que la tutelle existe d’un bout à l’autre de notre code, qu’elle est dans l’esprit d’une foule de nos institutions administratives, que l’État l’étend sur toutes les initiatives, sur toutes les parcelles du territoire, sur tous les départemens, sur tous les établissemens, les empêche de se livrer à toute initiative et les force à se plier à sa doctrine. C’est un état de choses contre lequel nous ne cessons de protester. »

Telle est bien la morale qui se dégage des solutions, — provisoires encore heureusement, — données à la question des caisses d’épargne. Toutes les énergies de la France en tutelle, c’était la pure doctrine napoléonienne, — et nous sommes en république.


AUGUSTE MOIREAU.