Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/933

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vue, nulle entente possible avec ceux qui voient dans l’établissement de juillet un accident éphémère, une inutile tentative de plier le génie français aux institutions anglaises, une ruse de l’histoire pour ménager les transitions, au moment où elle élaborait la transformation démocratique de la France, et par la France de tout l’occident européen. Les hommes d’État de 1840 pouvaient s’y tromper ; mais croire aujourd’hui que ce peuple, parti en quête d’un nouveau monde, avait touché au port avec la charte de 1830, c’est prolonger après Colomb l’erreur du navigateur, lorsqu’il prit la petite île des Lucayes pour le grand continent cherché ; elle n’était qu’une relâche. Ce moment de l’évolution serait mieux remis à son plan, et l’Histoire de la monarchie de Juillet gagnerait en largeur d’horizon, si elle eût été traitée par un esprit plus sensible à la constance et à la rapidité du mouvement qui nous emporte vers un nouvel état social. Reconnaissons qu’elle y perdrait de sa physionomie vivante. Avec l’exacte notion du chemin parcouru depuis un demi-siècle, on serait trop porté à étudier les intérêts débattus sous le gouvernement de juillet comme une curiosité archéologique. Resté en communication avec les idées de l’époque, M. Thureau-Dangin a pu mettre dans son récit la chaleur et le bruit de la bataille ; il a donné à ce récit l’attrait qui nous fera toujours préférer les mémoires d’un contemporain à la meilleure histoire écrite après coup.

Mon objection n’attaque en rien l’impartialité habituelle que l’on a justement louée chez M. Thureau-Dangin. Il ne se fait jamais l’avocat passionné des causes qu’il évoque ; il reste leur juge ; mais un juge qui rend ses arrêts avec un code aboli et des formes judiciaires tombées en désuétude.

Dans l’histoire des dernières années du règne, dominée par le duel féroce de M. Thiers contre M. Guizot, et à la fin contre le roi lui-même, l’écrivain prend ouvertement parti pour M. Guizot. S’il me disait que son opinion s’est faite par un choix réfléchi, je me permettrais de n’en rien croire. Une élévation naturelle du caractère et de la pensée devait jeter M. Thureau-Dangin dans le camp de M. Guizot. Son antipathie peu déguisée contre le chef de l’opposition n’est qu’une révolte continue de l’honnêteté. Pièces en main, il charge durement l’homme de Blaye, il voit en lui le mauvais génie du règne. Il nous le montre conspirant contre le gouvernement de son pays avec l’Angleterre, avec Greville, Panizzi Normanby, Palmerston ; puis souillant l’incendie dans la campagne des banquets, sans se mettre en avant de sa personne. M. Thiers n’avait pas l’excuse de ceux qui entrevoyaient et appelaient franchement une rénovation sociale ; il y croyait peu et ne s’en souciait pas ; son empirisme était aussi myope à cet égard que la