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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/139

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cette simple épitaphe : « Marie Mancini Colonna, poussière et cendre[1]. » En tête du Grand dictionnaire, Somaize se donne le titre de « secrétaire de Mme la connétable Colonna. » S’il faut en croire « l’ami de l’auteur, » qui a écrit la préface, c’est-à-dire l’auteur lui-même, Somaize aurait obtenu ce poste à la suite d’une fort belle action : « Il a toujours paru si peu intéressé, quoique ses ennemis lui reprochent ce vice, qu’ayant refusé des présens d’une généreuse princesse, parce que l’on croyoit que l’intérêt le faisoit agir, elle trouva cette action si belle et faite si à propos, vu l’imprudence qu’il y a souvent d’agir ainsi, que, dès ce temps, elle lui promit de faire beaucoup de choses pour lui. Les effets ont de bien près suivi les paroles, puisqu’elle l’a mené en Italie avec elle. » Entendons par là qu’après la dédicace des Précieuses ridicules, mises en vers, Marie Mancini offrit quelque argent à Somaize. Celui-ci refusa, en laissant entendre qu’il avait espéré mieux, c’est-à-dire l’honneur d’être attaché à la personne de la connétable. Surprise de ce désintéressement et accueillant ce désir, elle lui donna dans sa maison un de ces postes de semi-domesticité que les hommes de lettres étaient alors si heureux d’obtenir.

Quant à la marquise de Monlouet[2], c’était une belle et peu sage personne, très libre d’allures, fort répandue, qui représentait Terpsichore dans les ballets de la cour, et dont la chronique scandaleuse du temps s’est fort occupée. Avec beaucoup de tact et d’à-propos, Somaize faisait hautement l’éloge de sa vertu : « Dans ce lieu, disait-il en parlant de la cour, dans ce lieu où votre naissance vous avoit appelée, dans ce lieu où la médisance n’épargne personne, votre vertu lui a si bien fermé la bouche, que les plus médisans ne l’ont jamais ouverte que pour publier que vous êtes la plus sage et la plus vertueuse personne de la cour. » Jamais l’expression proverbiale : menteur comme une dédicace, ne fut mieux justifiée. Vanter la vertu inattaquable de Mme de Monlouet, c’était à peu près comme si, quelques années plus tard, quelqu’un s’était avisé d’exalter la fidélité conjugale de Mme de Montespan. Reste le duc de Guise. Celui-ci, dernier représentant de son illustre famille, était cet audacieux et brillant duc Henri, tête folle, cœur vaillant, caractère indomptable, qui prit et perdit Naples, et, après une vie d’aventures aussi stériles qu’héroïques, revint, ancien adversaire de Richelieu, faire sa cour à Mazarin mourant[3]. En lui

  1. Voir, sur Marie Mancini, Amédée Renée, les Nièces de Mazarin, 1856 ; R. Chantelauze, Louis XIV et Marie Mancini, 1879 ; Ch. Livet, Portraits du grand siècle, 1885.
  2. Voir la clé historique et anecdotique du Dictionnaire des Précieuses, par M. Ch. Livet.
  3. Voir Paul de Musset, Extravagans et originaux du XVIIe siècle, 1863.