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scandaleuses ; on croit comprendre, à l’exagération des éloges, que certains portraits ont été payés à l’auteur, que d’autres, par la rage de dénigrement qui les anime, sont des vengeances. D’autre part, il est visible, à la différence des styles, qu’en bien des passages Somaize n’a fait que transcrire les lettres et copier les notes qu’il avait à sa disposition. Quelques histoires, trop agréablement contées, quelques portraits trop bien venus, trahissent une autre main que la sienne ; en bien des endroits, par le tour de la médisance, à la grâce féline de certaines méchancetés, on devine qu’une femme a passé par là.

Et cependant, comme je le disais plus haut, Somaize est exact dans l’ensemble ; les Historiettes de Tallemant des Réaux permettent souvent de le contrôler, et, dans ce cas, il est assez rare qu’on le prenne en flagrant délit de mensonge complet ou d’erreur capitale ; il exagère, il contrefait même, par maladresse ou parti-pris, mais il n’invente pas. Par le goût du commérage et du cancan, par la nature des histoires qu’il raconte, il est lui-même une sorte de Tallemant, moins l’esprit et la qualité de la langue, comme aussi la nature et l’étendue de l’information. Tallemant, en effet, riche, bien né, reçu dans le meilleur monde sur un pied d’égalité, a vu de ses yeux ou entendu de ses oreilles presque tout ce qu’il raconte. Somaize est un simple chroniqueur d’antichambre ; quoi qu’il en dise, il a peu fréquenté la bonne société ; il n’en a guère connu que la vie extérieure et publique ; pour la vie intime et l’intérieur des ruelles, il n’en a su que ce qu’on a bien voulu lui dire ou lui écrire. Il est donc moins bien complet que Tallemant, et, comme il fait souvent double emploi avec lui, beaucoup de ses portraits ont perdu de leur intérêt depuis la publication complète des Historiettes.

Ce qui nuit encore à la lecture du Grand Dictionnaire, c’est la forme allégorique et mythologique dont l’auteur l’a affublée, d’après les habitudes littéraires si fort à la mode au temps de Mlle de Scudéry, et que l’on retrouve, par exemple, dans l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin. Tous les portraits portent un nom antique, et, bien qu’une clé nous donne les noms véritables sous les noms de convention, rien n’est plus fatigant que cet air de pastorale et de Cyrus répandu sur tout l’ouvrage. À ce sujet, il importe de mettre en garde contre une erreur assez commune. On croit volontiers que ces noms de convention sont ceux que se donnaient les précieuses elles-mêmes. La plupart, au contraire, sont de l’invention de Somaize, et, sauf quelques-uns, bien connus et consacrés par l’usage, ils n’ont jamais été portés. Le plus souvent, Somaize se contente de les forger, en conservant la consonne initiale et