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que rien ne sera changé si ce n’est l’étendue de l’action chrétienne se rajeunissant sans cesse et appropriée, à la voix du pape, aux besoins de notre temps ; ainsi seront séparées, dans l’action du clergé et à son grand profit, la religion et la politique.

Ils diraient à l’État que, s’il doit défendre, en sentinelle vigilante, la société civile, le concordat, comme tout traité, doit être appliqué dans un esprit de paix : nomination des évêques, entretien des édifices du culte, relations avec la papauté, tout ce qui découle du traité d’alliance de 1801 serait un non-sens et bien près d’être une dérision, si par malheur l’État cessait un seul jour d’exercer avec le sérieux et le respect qu’ils méritent ses pouvoirs concordataires. Ils rappelleraient que l’autorité civile, possédant seule la force publique, a le devoir de maintenir l’ordre, de protéger le culte dans l’intérieur des églises et de réprimer les désordres qui y seraient commis, qu’elle doit empêcher les empiétemens d’où qu’ils viennent ; que le clergé ne peut entrer dans l’école, mais que l’école ne peut, sans manquer à sa neutralité, critiquer la religion ou chercher à l’affaiblir dans l’esprit de l’enfant, qu’enfin pour accomplir son devoir, pour maintenir la paix dans les âmes, l’État ne doit recourir qu’aux armes légales, repoussant comme des offres compromettantes tout ce qui sort du droit commun, tout ce qui de près ou de loin ressemble à l’arbitraire.

Ce que disait en 1867 M. Thiers, chef de l’opposition, M. Thiers, chef du gouvernement, le répétait en termes presque semblables en 1872. « Les gouvernemens peuvent commettre d’insignes folies, mais, je le déclare avec une profonde conviction, il n’y en a pas de plus dangereuse que de s’engager dans une querelle religieuse et de se taire complice volontaire ou involontaire d’une immense perturbation morale… » « Le plus haut degré de philosophie n’est pas de penser de telle ou telle façon, l’esprit humain est libre heureusement. Le plus haut degré de philosophie, c’est de respecter la conscience religieuse d’autrui, sous quelque forme qu’elle se présente, quelque caractère qu’elle revête. » Il avait vu et jugé un siècle de notre histoire, c’était le testament de son expérience politique.

La pacification a été en 1832, elle doit être en 1892, comme elle sera en tout temps, non une œuvre de force, mais une œuvre légale et loyale, faite de patience et de respect.


GEORGES PICOT.