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dans leur manière habituelle, tels que M. Lanson avec son Éternelle douleur, M. Alfred Lenoir avec sa Prière et sa Douleur, destinées à des tombeaux, soit avec toute une série de petits bronzes, de petits marbres, œuvres nouvelles ou reproductions, destinées aux amateurs, mais qui ne révèlent rien sur les progrès de leurs auteurs, tels que MM. Injalbert, Hector Lemaire, etc. Mais en réalité, sous le rapport de la grande sculpture, la vie et l’avenir ne sont qu’aux Champs-Elysées.


Pour l’oisif de passage ou l’amateur blasé ne demandant à la peinture qu’une distraction rapide ou des surprises piquantes, le Salon du Champ de Mars était, dans les deux premières années, un spectacle récréatif. On n’avait jamais vu, à la fois, s’épanouir, côte à côte, si à l’aise, montrant tous les dessus et dessous de leurs talens, autant d’individualités supérieures ou croyant l’être ; on n’avait jamais vu non plus s’y manifester plus librement, à côté d’un certain nombre de nouveautés heureuses et utiles, toutes les excentricités de pratique qui, dans la pensée de plusieurs, suffiront à renouveler l’art contemporain. Nous en sommes à la troisième année de cette expérience ; nous ignorons si Iesdits oisifs et lesdits amateurs éprouvent sincèrement la même joie ; nous pouvons pourtant leur affirmer que bon nombre d’honnêtes gens, passant pour compétens, ne partagent pas, sans réserve, leur enthousiasme et leur optimisme, et qu’ils regarderaient les destinées de notre art national comme très compromises si l’on pouvait croire, un instant, au triomphe définitif de ces habitudes d’improvisation superficielle, de laisser aller et de bizarreries, qui n’apparaissent que trop encore dans une bonne partie des œuvres exposées.

Depuis sa fondation, la société nationale (ou plutôt internationale, car sur 337 peintres exposans, 139 sont étrangers) a subi des pertes sensibles. La disparition de Meissonier et de Ribot, notamment, qui, l’un comme dessinateur et compositeur, l’autre comme praticien et peintre, pouvaient apporter le contrepoids d’autorités indiscutables vis-à-vis du relâchement général des études et de l’indifférence croissante pour le métier, est peut-être pour elle un coup irréparable. Bon nombre d’artistes méritans, mais de tempérament médiocre et de conviction incertaine, qui se sentaient naguère encore soutenus par leur exemple et par leur voisinage, s’en vont aujourd’hui à la dérive, se laissant emporter par un courant qui n’est pas celui où ils avaient pris l’habitude de nager. Nous ne voulons pas relever tous les noms des transfuges des Champs-Elysées qui, en essayant de se mettre à l’unisson de