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les régimes ainsi fondés qui inspirent la confiance au monde. L’œuvre fût-elle laborieuse et difficile, elle mérite d’être tentée pour l’honneur et la sécurité de la France.

Si l’Europe, par le prévoyant calcul de ceux qui dirigent les conseils, est toujours en paix, s’il n’y a pas de ces grandes affaires qui remuent profondément les peuples, il y a des fêtes, des entrevues souveraines dans quelques pays, et dans d’autres des crises de pouvoir ou de parlement, des agitations électorales. A défaut d’événemens, en un mot il y a des incidens et avec la meilleure volonté du monde on ne peut voir rien de plus qu’un incident, un curieux incident, si l’on veut, dans ces récentes pérégrinations de M. de Bismarck en Allemagne et à Vienne à l’occasion du mariage de son fils, le comte Herbert, avec la jeune comtesse Hoyos.

C’est comme une exhumation du passé, comme un dernier rêve de grandeur du tout-puissant d’hier repassant partout où il a régné, à Berlin, à Dresde comme à Vienne et à Munich, — partout où il a imposé sa volonté directement ou indirectement. On a revu pour un instant, mais pour un instant seulement, passer à l’horizon cette dure et vigoureuse figure de celui qui a remué l’Europe, refait l’Allemagne, et qui n’est plus rien, qui rumine ses souvenirs irrités dans son duché de Lauenbourg. Cette réapparition de M. de Bismarck a eu peut-être une sorte de prologue il y a quelque temps. On a dit, on a répété qu’une réconciliation se négociait entre l’empereur Guillaume II et son ancien chancelier. C’était peu connaître la nature des hommes et la force des choses. Le jour où le lien a été rompu entre le prince et son ministre, où M. de Bismarck a été rudement congédié, tout était fini pour lui : il ne pouvait plus être que le vieux solitaire de Friedrichsruhe, — un solitaire qui n’a eu rien de taciturne, il faut l’avouer, qui n’a ménagé ni les traits acérés, ni les saillies d’une humeur hautaine à ses successeurs et même au souverain. Il n’aurait pu se relever que par une humiliation de son jeune maître, et Guillaume II, à ce qu’il semble, n’est pas près de plier devant celui qu’il n’a pas craint de frapper dans sa toute-puissance. Au fond, cette pseudo-négociation, dont on a parlé, n’avait peut-être d’autre objet que de ménager à l’ancien chancelier la position et les honneurs d’un grand personnage public dans sa course à travers l’Allemagne et dans son voyage à Vienne. Cela même n’a pas été obtenu. M. de Bismarck n’a été que M. de Bismarck allant comme un simple particulier marier son fils. L’empereur Guillaume ne paraît pas lui avoir prodigué ses complimens, même de loin. L’ambassadeur d’Allemagne à Vienne s’est tenu renfermé dans sa maison. L’ancien chancelier n’a été reçu ni par l’empereur François-Joseph, ni par les archiducs. Il a vu tout au plus quelques minutes le comte Kalnoky, il n’a pas eu la visite du comte Taaffe. Le mot d’ordre était évidemment de faire le vide autour de ce visiteur importun.