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moteur unique et central, conformément à la même conception napoléonienne et jacobine de l’État enseignant, conception redoutable qui, chaque année plus envahissante, plus largement et plus rigoureusement appliquée, exclut de plus en plus la conception contraire, la remise de l’éducation aux intéressés, aux ayans-droit, aux parens, aux entreprises libres et privées qui ne dépendent que d’elles-mêmes et des familles, à des corps permanens, locaux, spéciaux, propriétaires, organisés par un statut, et régis, administrés, défrayés par eux-mêmes. Sur ce modèle, quelques hommes d’esprit et de cœur, instruits par le spectacle de l’étranger, essaient de constituer, dans nos grands centres académiques, des universités régionales, et l’État va peut-être leur concéder, sinon la chose, du moins le nom et le simulacre de la chose ; mais rien au-delà. Par son droit public, par les attributions de son Conseil d’État, par sa législation fiscale, par le préjugé immémorial de ses juristes, par la routine de ses bureaux, il est hostile aux individus collectifs ; jamais ils ne seront pour lui des individus véritables ; s’il consent à les ériger en personnes civiles, c’est toujours à condition de les tenir sous sa tutelle étroite, de les traiter en mineurs et en enfans. — Au reste, même majeures, ces universités resteraient ce qu’elles sont, des officines de grades ; elles ne peuvent plus être maintenant un asile intellectuel, une oasis au terme de l’instruction secondaire, une station de trois ou quatre ans pour la libre curiosité, pour la culture désintéressée de soi-même. Depuis l’abolition du volontariat d’un an, un jeune Français n’a plus le loisir de se cultiver ainsi ; la curiosité libre lui est interdite ; il est trop harcelé par un intérêt trop positif, par le besoin des grades et diplômes, par les préoccupations de l’examen, par la limite d’âge ; il n’a pas de temps à perdre en tâtonnemens, en excursions mentales, en spéculation pure. Désormais notre système n’admet pour lui que le régime auquel nous le voyons soumis, à savoir l’entraînement, l’essoufflement, la course au galop sans répit dans une piste, et les sauts périlleux, de distance en distance, par-dessus des obstacles préparés et numérotés. Au lieu de se restreindre et de s’atténuer, les inconvéniens de l’institution napoléonienne s’étendent et s’aggravent, et cela tient à la façon dont nos gouvernans la comprennent, au procédé original et héréditaire de l’esprit jacobin.

Quand Napoléon édifia son Université, ce fut en homme d’État et en homme d’affaires, avec les prévisions d’un entrepreneur et d’un praticien, avec le calcul de la dépense et du rendement, des besoins et des débouchés, de manière à se fabriquer, au plus vite et avec le minimum de irais, les outils militaires et civils qui lui