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décembre, il est retourné en Afrique au mois d’août 1852, en qualité de chef d’état-major de la division de Constantine, alors commandée par le général de Mac-Mahon. Nommé, dès le mois d’avril 1854, sous-chef d’état-major-général de l’armée d’Orient, il n’est rentré en France qu’en 1856, avec le dernier détachement des troupes de Crimée. Général de brigade et sous-aide major-général de l’armée d’Italie, en 1859, il a été promu divisionnaire en 1867 et appelé par le maréchal Niel à la direction du dépôt de la guerre.

C’était au lendemain de l’affaire du Luxembourg. Le maréchal Niel avait dit à l’empereur : « C’est une couleuvre qu’il faut avaler ; mais il faut que ce soit la dernière[1]. » Il se mit donc résolument à la tâche, à la préparation d’une guerre qu’il jugeait inévitable et qu’il prévoyait formidable ; c’est pourquoi, en même temps qu’il s’efforçait de refaire et de renforcer l’armée, il attendait du dehors, il demandait, il réclamait une grande alliance, de grandes alliances ; mais où les prendre ? La politique impériale avait mis toute l’Europe en défiance ; aussi le maréchal, au mois d’avril 1869, pouvait-il dire amèrement à l’impératrice qui, depuis deux années, pressait ardemment son zèle, comme s’il avait eu besoin d’être stimulé : a Je me suis conformé à vos désirs, madame ; je suis prêt, et vous ne l’êtes pas. » O surprise ! ô mirage ! un jour, on l’entrevit, cette grande alliance ! mais le maréchal Niel n’était plus là, il était mort à la peine.

Au printemps de 1870, l’archiduc Albert, le vainqueur de Custozza, était venu visiter la France en curieux, en touriste, prenant son temps, nullement pressé, semblait-il, d’arriver à Paris ; il finit par y arriver néanmoins, et même il y fit un assez long séjour. Ce touriste indifférent avait au fin fond de son portefeuille un certain papier : ce n’était ni plus ni moins qu’un plan de campagne éventuel, un projet d’opérations commun à la France et à l’Autriche contre la Prusse ; il le laissa entre les mains de Napoléon III, après quoi il reprit le chemin de Vienne. Quelques jours plus tard, le 19 mai, à dix heures du matin, se trouvaient réunis dans le cabinet de l’empereur le maréchal Le Bœuf, ministre de la guerre, le général Frossard, le général Lebrun et le général Jarras. Il

  1. Je tiens le propos du maréchal Niel lui-même. Au moment des élections législatives de 1869, il m’avait demandé un aperçu rapide et précis de la politique de Casimir Perier, intérieure et extérieure. C’est lorsque je lui portai ce travail qu’il me dit ce que je viens de rapporter, et il ajouta : « Je me suis mis à l’œuvre, et le jour est enfin venu où j’ai pu dire à l’empereur : Nous sommes prêts. » Cette assertion me parut grave. Quelques semaines après, le maréchal était mort. Était-il aussi prêt qu’il en avait la superbe assurance ? J’en doute et je crois que la mort, heureusement, lui a épargné l’horreur de la désillusion.