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pour les munitions, il était tout au moins contestable. Il est vrai que le commandant supérieur de l’artillerie, le général Soleille, avait manifesté à ce sujet une inquiétude excessive, dont le général en chef n’avait pas manqué de se faire un argument ; mais la distance n’était pas si grande que du champ de bataille glorieusement conservé il ne fût facile d’envoyer caissons et fourgons se remplir à Metz : en profitant de la nuit, c’eût été l’affaire de quelques heures.

On se replia donc. Pendant toute la journée du 17, les troupes travaillèrent à se retrancher ; les lignes d’Amanvilliers, comme on les nomma, devinrent en effet très fortes, si ce n’est vers la droite, du côté de Saint-Privat, où le terrain était moins favorable à la défensive. C’était le poste assigné au 6e corps, le plus mal outillé, le plus mal armé, le moins en état de s’éclairer, puisque, ainsi qu’on l’a vu, son parc du génie, sa réserve d’artillerie, sa cavalerie, refoulés sur le camp de Châlons, n’avaient pas pu le rejoindre. De ce côté donc, les ouvrages de campagne n’eurent ni le développement, ni le profil qui, là plus qu’ailleurs, eussent été nécessaires.

Tel était l’état des choses quand, le 18, dans la matinée, les avant-postes signalèrent un grand mouvement de colonnes ennemies, de gauche à droite. Le maréchal Bazaine ne parut pas s’en inquiéter. Vers dix heures, il envoya le colonel Lewal, de l’état-major-général, faire une reconnaissance, non pas sur le front, mais en arrière des troupes, afin de déterminer les points que les corps devraient occuper, lorsqu’il en serait donné l’ordre. Cependant le canon commençait à gronder ; à midi, la bataille était engagée sur toute la ligne. Le maréchal affectait une telle confiance dans la solidité de sa position défensive qu’il disait et répétait que cette attaque ne pouvait pas être sérieuse ; ce fut vers deux heures seulement qu’il se décida, pour voir ce qui se passait, à monter à cheval ; mais il n’alla pas plus loin que le fort Saint-Quentin où il établit son observatoire. Cependant le général de Ladmirault et le maréchal Canrobert demandaient du renfort ; l’artillerie du 6e corps était notoirement insuffisante ; vers la fin de la journée, le commandant en chef lui envoya deux batteries à cheval de la garde. Ce fut, pendant la bataille, tout ce qui fut engagé de ce corps d’élite, à la tête duquel le général Bourbaki frémissait d’impatience ; pareillement, la réserve générale d’artillerie et la plus grande partie de la cavalerie furent laissées en attente au bivouac. A sept heures, le maréchal Bazaine rentrait au quartier-général, non pas triomphant, mais satisfait. Tout à coup, vers neuf heures, à nuit close, il y eut une rumeur de panique sur la route de Woippy à Saint-Privat ; un peu après, le général Jarras vit arriver