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trois jours. Je compte toujours prendre la direction du nord, et me rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould à Châlons, si elle n’est pas fortement occupée ; dans ce cas, je continuerais sur Sedan et Mézières pour gagner Châlons. » Le même jour, il mandait au maréchal de Mac-Mahon : « J’ai dû prendre position près de Metz, pour donner du repos aux soldats et les ravitailler en vivres et en munitions. L’ennemi grossit toujours autour de nous et je suivrai très probablement, pour vous rejoindre, la ligne des places du nord. Je vous préviendrai de ma marche, si je puis toutefois l’entreprendre sans compromettre l’armée. » On voit la différence de ces deux télégrammes, et combien le second était restrictif du premier.

Face à face avec ses lieutenans et dans ses communications avec les troupes, le maréchal manifestait hautement ses intentions de départ. Le 25 août, l’armée fut prévenue d’avoir à s’approvisionner pour trois jours et de se tenir prête à marcher le lendemain, dès l’aube. En effet, le 26, le mouvement commença ; à midi, tous les corps, sauf la garde, étaient en position sur la rive droite de la Moselle. Les commandans des corps d’armée avaient été convoqués au château de Grimont. En s’y rendant, le maréchal laissa tomber ces mots : Que vont-ils me dire ? Le général Jarras, qui les recueillit non sans étonnement, se permit une remarque : quels que fussent les avis des lieutenans, c’était au chef seul qu’il appartenait de décider, parce que la responsabilité appartenait à lui seul. La remarque était juste, irréfutable, mais elle était déplaisante ; le maréchal n’y répondit pas. Que vont-ils me dire ? Ces cinq monosyllabes, qui n’avaient l’air de rien, c’était tout. Le jeu de Bazaine allait être, en effet, de circonvenir et d’enlacer ses lieutenans, de solliciter habilement leurs sentimens personnels, de transformer peu à peu les sentimens en opinions, les opinions en décisions, de se décharger sur autrui de sa responsabilité propre, de faire, en deux mots, d’une réunion purement consultative une sorte de parlement militaire dont les votes feraient loi. Ce n’était pas du premier coup qu’il se flattait d’y réussir ; aussi l’essai qu’il allait tenter le rendait-il anxieux.

La réunion eut lieu à une heure. Le maréchal indiqua brièvement son intention de gagner Thionville par la rive droite de la Moselle, puis de repasser sur la rive gauche dans la direction de Montmédy. Voilà son plan : qu’en pensait-on ? Tous commencèrent par déclarer qu’ils étaient prêts à marcher sur l’ordre du commandant en chef. Il n’y avait donc qu’à lever la séance et à donner le signal aux troupes qui attendaient l’arme au pied. Il n’en fut rien fait, le maréchal ayant témoigné le désir d’interroger les commandans de corps d’armée sur les dispositions physiques et