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l’impératrice à des conditions possibles pour la France. Le maréchal me mit en rapport avec ce M. Régnier, qui était avec lui depuis plusieurs heures. Ce M. Régnier me dit entre autres choses qu’il espérait porter bientôt un traité à signer à l’impératrice. Bref, je suis arrivé à Chislehurst, où l’impératrice m’a dit qu’elle n’avait jamais exprimé le désir d’avoir, ou le maréchal Canrobert ou moi, auprès d’elle. Cette déclaration, dont j’avais le pressentiment depuis que j’avais lu les papiers publics, m’a frappé au cœur. Tout en étant couvert par l’ordre de mon chef, je me trouvais dans une fausse position. Je suis à Luxembourg. Si, contrairement à mes désirs, je ne parvenais pas à rejoindre nos soldats, je me mettrais à la disposition du gouvernement provisoire. » Bourbaki ne put pas rentrer à Metz ; soldat loyal et patriote, il n’hésita pas à se donner au service de la France envahie.

D’après le pamphlet apologétique de Bazaine, Régnier lui aurait insinué que, pour prix d’un armistice assurément bien désirable, les Allemands sans doute exigeraient, à titre de gage, la place de Metz ; à quoi il aurait été répondu que l’armée ne saurait acquérir sa liberté d’action, pour maintenir l’ordre, qu’à la condition de se retirer avec les honneurs de la guerre, mais sans aucune stipulation relative à la place de Metz.

Ce que voulait, avant tout, M. de Bismarck, c’était Metz ; il n’avait pas réussi dans ce premier essai, mais il n’était pas homme à lâcher prise, et il allait manœuvrer de sorte à jeter son filet sur Metz et sur l’année à la fois.

Par-dessus ces menées occultes, les apparences étaient que le commandant en chef préparait quelque grand coup de force auquel il préludait par des sorties partielles, ici sur Feltre, là sur Ladonchamps, ailleurs sur Colombey. Le 4 octobre, les commandans des corps d’armée furent convoqués au Ban San-Martin afin de se concerter pour la trouée générale et décisive. Le maréchal Bazaine exposa son plan, qui était de sortir sur Thionville par les deux rives de la Moselle. Ce projet de marche en deux colonnes séparées par la rivière, c’était une cible à critiques ; les objections ne manquèrent pas ; le maréchal se contenta de répondre placidement : « Je vous ai présenté le plan d’opérations qui m’a paru offrir le moins de difficultés ; si vous ne l’acceptez pas, veuillez m’en indiquer un autre qui sera discuté à son tour, et nous ferons ensuite ce qui aura été décidé par le conseil. » C’était le même homme qui, peu de temps auparavant, sur une observation respectueuse du général Jarras, avait répliqué d’un ton sec : « Dans les circonstances présentes, je ne prends conseil de personne. »

La grande sortie n’eut pas lieu ; mais, pour donner un leurre aux impatiences, il veut, le 7, un grand fourrage exécuté par le 6e corps