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Nous restions silencieux, la tête renversée, absorbés dans la contemplation du ciel où la voie lactée se répandait comme un fleuve de lumière. Je la montrai à mon compagnon de hasard et je lui dis : « Qu’est-ce que cela peut être ? — Il me répondit : ce sont les limbes célestes ; c’est le séjour que Dieu a réservé dans l’immensité aux espérances déçues et aux prières inexaucées ; il y en a tant que nul calculateur n’a pu les dénombrer, elles sont si haut que nul télescope ne les peut apercevoir ; elles sont hors de la portée des hommes ; heureusement, car il en sort de telles lamentations que si la terre les entendait, elle mourrait de tristesse ; si elles tombaient des profondeurs de l’empyrée, où elles sont recueillies sous forme d’étoiles imperceptibles, le monde serait écrasé sous leur masse ! » — Je lui dis : « Êtes-vous astronome ? » Il se mit à rire et répondit : non ! je ripostai : « Ni moi non plus ! » — C’est ce qui me permet de reproduire son opinion qui, malgré mon ignorance, ne me paraît pas avoir une base scientifique sérieuse.


II. — LA VANITÉ.

Lorsqu’un vieillard a failli être appelé aux destinées d’outre-tombe, lorsqu’il a traversé une crise que l’on avait cru mortelle et que, revenu à la santé, il parle des images qui s’évoquaient spontanément en lui, on constate presque toujours le même phénomène : ce qu’il a revu dans les heures où il avait perdu sa propre direction, c’est son enfance, c’est sa prime jeunesse, celle de l’initiation, de l’entrée impétueuse dans le tumulte de la vie. Est-ce donc là ce qui a laissé dans l’âme l’empreinte ineffaçable puisque l’homme, dès qu’il n’est plus en possession de soi-même, est hanté par les visions des exubérances de la vingtième année. On dirait que la maladie en exaspère l’impression ; mais plus d’un sexagénaire solide encore et bien portant s’y reporte avec une sorte d’attendrissement et seul, au coin du feu, souriant et soupirant, se raconte ses anciennes aventures. Peut-être ces plaisirs ne valent-ils que par le souvenir amplifié que l’on en conserve ; et cependant, il faut bien admettre qu’à une heure donnée, ils aient une importance en quelque sorte vitale, car on leur a fait plus d’un sacrifice, car on les a célébrés sur tous les tons. Pour les avoir mis en vers, des poètes ont été illustres. Aux jours de mon enfance, ces fredaines juvéniles ont eu leur chantre attitré qui les a exaltées sans rien leur enlever de leur médiocrité. Comme elle passe la gloire de ce monde et comme l’âge mûr dédaigne les enthousiasmes