Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauvegarder la liberté de leurs allures, procéderont par délégation : ça commence par la nourrice, ça continue par la bonne, ça se prolonge par l’institutrice, ça se termine par l’internat ; en somme, ça ne dure guère que dix-neuf ans. Ai-je besoin de dire que ce reproche ne s’adresse qu’aux gens dont la fortune et la situation permettent les sacrifices en faveur et pour le plus grand bien de l’enfant. Il ne manque pas de jeunes hommes instruits et vaillans dont on ferait d’excellens répétiteurs pour l’écolier qui, suivant en externe les cours d’un lycée, resterait en contact permanent avec la famille où il prendrait des habitudes correctes et épellerait au moins la préface de la vie. Je crois que de cette façon bien des sottises et bien des déceptions pourraient être évitées.

Ces sottises, j’en ai commis quelques-unes et j’en ai vu commettre beaucoup ; je me hâte de dire qu’elles ne tiraient point à conséquence et que plus d’un viveur en aurait ri de pitié. Elles n’en sont pas moins restées désagréables à mon souvenir, parce qu’elles étaient bêtes et, je le répète, entachées de vanité. Ce sont, en quelque sorte, de petites maladies morales auxquelles on n’échappe que bien rarement et qui sont à la jeunesse ce que la rougeole est à l’enfance. Une locution vulgaire exprime bien cet état de l’éphèbe longtemps comprimé par la claustration scolaire et tout à coup délivré ; on dit : il jette ses gourmes. S’il les jette, c’est au mieux, à la condition qu’elles ne reparaîtront plus ; mais s’il les garde, quelle misère et quelle dérision ! Lorsque, par malheur, il a pris le goût de ces plaisirs médiocres où les sens et un amour-propre peu exigeant trouvent leur pâture, si l’habitude dégénère en besoin, il est perdu ou bien près de l’être. S’il n’est qu’inutile, ce sera demi-mal ; en tout cas, et c’est déjà trop, l’exemple qu’il donne sera nuisible.

Il restera prisonnier des futilités qui constituent le fond même de ce qu’un singulier euphémisme appelle la vie élégante, et s’il veut par hasard s’en échapper pour regarder vers une chose sérieuse, il s’apercevra que ses facultés atrophiées n’ont plus la compréhension. A défaut de la jeunesse promptement disparue, car elle ne s’attarde pas près de ceux qui ont abusé d’elle, il en voudra simuler les apparences et se vieillira d’autant plus qu’il fera son visage, teindra sa barbe et exagérera la juvénilité de son costumé. Qui de nous n’a pas réprimé un sourire en voyant les fioritures dont un vieux beau peut orner son visage ! Le type même de ces Jézabels mâles a réjoui Paris pendant la durée du second empire : mes contemporains n’ont point oublié ce duc de Brunswick, ses perruques, son fard et le trait d’antimoine dont il bordait ses yeux. Il ressemblait à un des convives du festin de Trimalcion.