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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/366

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l’entrain qu’ils y déploient, aller visiter les collèges d’Eton ou d’Harrow, les universités d’Oxford ou de Cambridge. Il faut voir ces immenses pelouses envahies, aussitôt après l’heure du lunch, par une nuée de jeunes gens en costume de jeu, qui aussitôt se divisent en groupes, se forment en équipes, et, sans perdre une minute, organisent leurs parties. J’ai encore devant les yeux le spectacle d’une partie de foot-ball jouée en ma présence par des étudians de Cambridge. Nulle part je n’ai vu pareil enthousiasme et pareil entrain, pareil mépris pour la chute et les coups. Le jeu de ballon ainsi pratiqué pourrait constituer à lui seul un moyen complet d’éducation physique, tellement il met en action toutes les aptitudes corporelles, toutes les facultés morales actives des joueurs. Quelle vigueur pour lancer ce ballon, quelle agilité pour le saisir et l’emporter vers le but ! Quelle adresse aussi, pour éviter l’étreinte des adversaires qui barrent le passage, et quelle souplesse pour leur glisser entre les bras sans abandonner le précieux trophée ! Et si dans la lutte le vaincu tombe à terre, on le voit rebondir comme le ballon lui-même en touchant la pelouse et recommencer plus ardent sa course, oubliant de se tâter à l’endroit meurtri.

Ce contraste frappant entre l’apathie de nos jeunes gens et l’ardeur des jeunes Anglais s’explique aisément par l’attrait passionnant de leurs jeux, au regard de la décourageante aridité de notre gymnastique méthodique. Et l’on n’a pas besoin d’invoquer la différence des races. Du temps où nous avions, nous aussi, nos jeux nationaux, on voyait les jeunes Français se passionner pour la paume, le mail ou la barette, tout autant que les Anglo-Saxons d’aujourd’hui pour le law-tennis, le cricket ou le foot-ball. Mais le goût du jeu s’est perdu chez nous au moment même où l’on a tenté d’introduire une forme d’exercice plus méthodique et, croyait-on, plus perfectionnée. Nos jeunes gens ont cessé d’aimer les exercices du corps à l’époque même où on a voulu leur imposer la gymnastique, patronnée en France par le colonel Amoros. La coïncidence ne sera niée par personne ; pour nous, il y a là plus qu’une coïncidence, il y a un rapport de cause à effet : « Ceci a tué cela. » Et si l’on en doutait encore, il suffirait de remarquer la renaissance du goût des exercices corporels qui s’est manifestée brusquement dans nos établissemens universitaires, à la suite des tentatives faites depuis deux ou trois ans pour y établir les jeux dits « de plein air. » Ce goût s’est si vivement affirmé parmi nos écoliers que déjà quelques hommes trop timorés s’en préoccupent et voient les études des jeunes gens compromises par ce qu’ils appellent un « engouement » excessif pour les exercices du corps. Voilà déjà bien des raisons pour établir la supériorité des jeux