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il s’exprime : « La psychologie subjective, dit-il, est une science complète, unique, indépendante de toutes les autres, quelles qu’elles soient ; et elle s’oppose à elles comme une antithèse. Les pensées et les sentimens qui constituent une conscience et qui sont inaccessibles à tout autre que le possesseur de cette conscience, forment une existence qui ne peut se placer parmi les existences dont les autres sciences s’occupent. Quoiqu’une accumulation d’expériences nous ait conduit à croire que l’esprit et l’action nerveuse sont les deux côtés, objectif et subjectif, d’une seule et même chose, nous restons incapable de voir et même d’imaginer quels rapports il y a entre les deux. L’esprit continue d’être pour nous quelque chose sans parenté avec les autres choses ; et de la science qui découvre par introspection les lois de ce quelque chose, il n’y a aucun passage, aucune transition aux sciences qui découvrent les lois des autres objets. »

Ainsi Spencer, comme Jouffroy, admet l’indépendance de la psychologie subjective ; il admet en outre que la psychologie dite objective n’existe et n’a de sens que par son rapport à la psychologie subjective, puisque celle-ci seule donne une signification aux faits signalés par la première. La seule différence, c’est que Spencer fait une science totale des deux psychologies, subjective et objective, tandis que Jouffroy en fait deux sciences séparées, quoique unies entre elles ; mais ces deux idées sont-elles bien différentes l’une de l’autre ? Puisque cette science totale se compose de deux sciences, ne peut-on pas les traiter séparément, ou les traiter ensemble, comme on voudra ? La première méthode sera plus conforme à l’analyse, la seconde à la synthèse. Sans doute, le second point de vue est aussi nécessaire que le premier ; car l’unité des choses est aussi utile à connaître que leurs différences. Mais depuis Bacon et Newton, il a été convenu que l’analyse doit précéder la synthèse. Il est donc tout à fait conforme aux habitudes de la science moderne de traiter de la psychologie subjective avant de passer à l’objective. En outre, si, comme Spencer le dit, la première est nécessaire pour interpréter la seconde, si celle-ci lui emprunte nécessairement ses data, il y a un grand intérêt à assurer la fidélité de ces data, en étudiant d’abord les faits subjectifs en eux-mêmes, et en suivant la conscience jusqu’où elle peut nous conduire. C’est une abstraction sans doute ; mais toutes les sciences sont des abstractions, et il n’y aurait pas de science si de telles abstractions n’étaient pas permises.

Si l’on cherche la signification de ce débat qui n’a l’air de porter que sur une question de forme, on verra qu’il repose sur certaines préoccupations, et que chacun des deux adversaires, des deux