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progrès social et à la diffusion démocratique du crédit I On veut la détruire sous prétexte de la réformer. Et comment la remplacerait-on ? Que prétend-on opposer ou substituera ce qui existe, à une institution dont le privilège est la garantie de tout le monde ? Ce n’est pas la liberté illimitée des banques, personne n’en veut. L’expérience faite, il y a déjà bien des années aux États-Unis, a prouvé que cette prétendue liberté conduisait par un agiotage effréné à l’inévitable débâcle, à une sorte de faillite universelle. C’est donc purement et simplement une banque d’État qu’on prétend mettre à la place de la vieille Banque de France. Avec une banque d’État on aura tout ce qu’on voudra, on aura d’abord la gratuité du crédit, l’idéal socialiste ! on n’aura pas à disputer sans cesse avec des régens difficultueux et récalcitrans ! on pourra aller grandement, disposer d’inépuisables ressources pour accomplir toutes les réformes, inaugurer une ère nouvelle ! Rien n’est plus aisé sans doute que de se promener dans le pays des chimères, de se livrer, comme l’a dit avec indulgence M. le rapporteur Burdeau, « au hasard du rêve d’un esprit brillant. » La difficulté commence quand on aborde la réalité, dès qu’on touche à toutes ces questions si délicates et si complexes du crédit public dans ses rapports avec le commerce, avec l’intérêt national lui-même.

Une banque d’État, c’est bientôt dit ! Comment l’établira-t-on ? dans quelles conditions fonctionnera-t-elle ? sera-t-elle un bureau de plus au ministère des finances ou se livrera-t-elle à toutes les opérations de banque ? l’État va donc se trouver banquier, avec la chambre pour conseil de régence ! Il aura à s’occuper sans cesse des mouvemens du change universel ! Il sera le régulateur des escomptes, des transactions commerciales ! Il aura naturellement le privilège d’émettre des billets marqués à son effigie. Soit ! et bientôt, selon le mot spirituellement sensé de M. Henri Germain, on aura, au lieu de la « monnaie de papier » aux émissions sévèrement réglées, garantie par les formidables réserves que la Banque de France garde dans ses caisses, on aura ni plus ni moins un « papier-monnaie » émis selon les besoins, selon les nécessités du moment, subissant inévitablement les oscillations du crédit de l’Etat lui-même. C’est toute la différence ! Et puis, il y a une chose délicate, douloureuse, qu’on oublie et qu’on peut bien dire, puisqu’on dit parfois si indiscrètement tant d’autres choses. Le jour où une cruelle fatalité ramènerait les grandes crises, où une guerre en un mot éclaterait, où l’ennemi aurait réussi à forcer l’entrée du territoire, à quoi seraient exposés les établissemens d’une banque d’État ? L’ennemi, ce n’est pas douteux, mettrait immédiatement la main sur les succursales, sur les ressources de cette banque, comme il met la main sur les perceptions, sur les bureaux d’enregistrement, sur les bureaux de poste, sur l’administration. M. le ministre des finances rappelait l’autre jour, non sans tristesse, qu’en 1870, au