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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/476

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commission d’enquête de l’assemblée nationale, qu’un jour la France s’est trouvée en présence d’un immense péril qu’elle n’a pas même connu : il s’est agi de savoir si on émettrait du papier d’État, ni plus ni moins ! » Ce spirituel sceptique était plein d’anxiété ; il allait de l’un à l’autre, — lorsqu’un matin il apprenait la présence à Bordeaux d’un homme qui était un financier éclairé et habile, M. Magne, le dernier ministre des finances de l’empire. Laurier n’hésitait pas, il allait consulter M. Magne qui l’écoutait avec une bienveillante attention. M. Magne ne méconnaissait pas la gravité des choses ; seulement, il faisait remarquer à Laurier qu’il n’avait pas, sans doute, eu le temps de lire le dernier budget, que s’il l’avait lu, il aurait vu que lui M. Magne avait inscrit dans un article l’autorisation pour la Banque d’émettre jusqu’à 2 milliards 200 millions de billets, qu’on n’en était tout au plus qu’à 1,800 millions, qu’il y avait dès lors 400 à 500 millions qu’on pouvait très bien demander à la Banque. C’était ce que M. Magne appelait « la tirelire de la guerre, » et il ajoutait : « Cette tirelire, il faut la casser et ne pas hésiter plutôt que de recourir au papier d’État ; car les gens qui vous parlent de papier d’État sont des ignorans qui ne savent pas ce que c’est que le crédit d’un gouvernement. » Fort de cette révélation et de ces conseils, Laurier n’hésitait plus, en effet. D’accord avec le comité des finances* il renouait la négociation avec la Banque, sinon avec M. Cuvier qui s’effaçait, du moins avec son remplaçant ; on signait un traité qui mettait 10 millions par jour à la disposition du gouvernement, et c’est avec ces ressources qu’on pouvait aller jusqu’au bout.

Que serait-il arrivé si Gambetta, dans un mouvement de colère et d’emportement, eût tout brusqué et jeté à tous les vents son papier-monnaie ? Il n’aurait probablement pas relevé la fortune de nos armes, il ne le pouvait plus, et il eût sûrement compromis pour longtemps les finances françaises. Le crédit public en eût ressenti une profonde atteinte, et, au lendemain de la guerre, la crise eût été bien autrement grave, bien autrement difficile à surmonter. En cédant à propos, la Banque avait détourné cet « immense péril » du papier-monnaie ; en résistant aux premières sommations, en mesurant ses avances, qui s’élevaient pourtant à 1,500 millions, elle avait maintenu « on crédit ; elle avait gardé une autorité telle que son billet n’a jamais rien perdu ; et c’est avec ce crédit demeuré intact que M. Thiers pouvait bientôt faire face aux premières nécessités d’une situation effondrée avant de mettre la main à la réorganisation du pays. M. Camille Pelletan, avec ses pathétiques exhumations de quelques dépêches irritées, fait du roman, après vingt ans, sur ce qu’il y a de moins romanesque au monde : la vérité est à la fois plus simple, plus saisissante et plus instructive. — Mais, dit-on, qu’est-ce donc que ce crédit de la Banque de France dont on parle toujours ? D’où le tire-t-elle ? C’est le crédit