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Maury, en annonçant au comte de l’Isle la conclusion de cet accord si redouté, n’était pas même en mesure d’en envoyer une analyse. Il se bornait à manifester son indignation en termes énergiques. « Jamais, disait-il, le saint-père ne s’est traîné si bassement à la suite de l’autorité temporelle. » Le comte de Provence ne pensait pas autrement. Son seul espoir était dans le schisme qu’il s’efforçait de susciter en encourageant les anciens évêques à la résistance. Mais qu’importait l’attitude de ces prélats, ayant, suivant le joli mot de l’un d’eux, « le douloureux, mais nécessaire courage qui anima saint Paul lorsqu’il résista en face à saint Pierre ? » Le pape passa outre. Un bref du 15 août 1801 invita à se démettre les évêques qui ne trouvaient pas leur place dans la nouvelle organisation. Beaucoup obéirent. Quant aux autres, on ne s’en occupa plus.

Dans sa hâte de protester contre le concordat, le comte de l’Isle n’attendit même pas de le connaître. Le 6 octobre, il expédiait à Maury une note ainsi conçue : « Par sa note du 25 août dernier, le roi avait prévenu M. le cardinal Maury qu’il déposerait secrètement entre ses mains un acte conservatoire de ses droits. Il eût été à désirer, sans doute, qu’avant de faire cet acte, le roi eût une connaissance entière des conditions arrêtées entre le pape et B. P. (évidemment Bonaparte) ; mais les occasions sûres de communication sont trop rares pour que le roi ne saisisse pas celle qui se présente aujourd’hui, et il vaut mieux faire une protestation moins parfaite que de s’exposer à n’en point faire du tout. Cette protestation doit demeurer secrète quant à son contenu et à son dépositaire… » Dans ce curieux document, que M. Ricard publie in extenso, le chef de la maison de France déclare le concordat nul comme « attentatoire aux droits de notre couronne, à ceux des évêques de notre royaume, aux saints canons et aux libertés de l’Église gallicane, fait d’ailleurs sans pouvoir de la part du soi-disant premier consul et sans liberté de la part du souverain pontife, capable enfin de produire un nouveau schisme et d’induire en erreur nos bien-aimés sujets sur l’un des devoirs les plus sacrés que la religion leur impose, savoir la fidélité envers nous. »

Les dépêches qu’échangent à cette époque le comte de Provence et son agent près le saint-siège montrent bientôt qu’une profonde divergence de vues tend à séparer les deux correspondans. Le prétendant, au fond de la Pologne, isolé dans son exil, se renferme dans son intransigeance. Le cardinal subit l’influence de son milieu et veut éviter de se compromettre inutilement. Il opine pour que la protestation du roi contre le concordat ne soit pas publiée et obtient facilement qu’elle garde le caractère secret. A l’égard des anciens évêques français qui lui demandent conseil, son rôle est