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circonstance où l’honneur de son maître eût sombré, si son avis eût prévalu ?

Au surplus, le comte de Provence ne s’y trompa pas. Malgré le ton affectueux de la correspondance à laquelle il donna lieu, l’incident paraît avoir laissé une impression pénible chez ce prince. Le charme était rompu. Maury s’en aperçut bientôt. Il est de règle que les cardinaux, traités de cousins par les rois, les congratulent pour les « bonnes fêtes. » Cacault avait obtenu que le premier consul fût, à cet égard, traité en roi. Qu’allait faire l’évêque de Montefiascone ? Le 3 septembre 1803, il exposa au comte de l’Isle ses perplexités. Il avait éludé l’année précédente. Mais le pape a donné des ordres formels : que faire à l’avenir ? La réponse de Varsovie est un modèle d’ironie : « Le roi voit avec une peine bien vive la position personnelle du cardinal Maury. Il faudrait être sur les lieux pour bien juger les sacrifices que cette position et l’unanimité des démarches du sacré-collège peuvent imposer au cardinal Maury. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le roi n’en sera pas plus scandalisé qu’il ne l’a été jadis de lui voir porter un ruban tricolore. » C’était une allusion à la fête de la Fédération, où le député de Péronne s’était montré avec la cocarde aux trois couleurs, — allusion injuste si, comme on l’affirme, cette cocarde lui avait été envoyée par Marie-Antoinette elle-même, — allusion blessante, en tout cas, dans les circonstances où elle était faite. Le cardinal ne la pardonna pas. Le 6 décembre, il chargeait le marquis de Bonnay, successeur de M. de Thauvenay, de « mettre aux pieds du roi ses vœux les plus ardens de bonne année. Ses vertus, son génie, ses malheurs, ajoutait-il, sont à mes yeux comme aux vôtres, de très sûrs garans des présages que vous formez sur son règne, dès que Dieu nous fera la grâce de relever son trône. Cet espoir consolant ne s’éteindra jamais dans mon âme et j’en ai besoin pour aimer la vie. » — Mais trois jours avant, il avait, dans une lettre assez banale d’ailleurs, envoyé au général Bonaparte « ses vœux les plus ardens » pour « la conservation » et le bonheur du premier consul de la république française. C’était un jalon. On devine aisément que les temps sont proches où le cardinal se séparera définitivement de ceux qui a s’enfoncent. » L’occasion s’offrit bientôt. « Le pape m’a fait avertir, mande-t-il au marquis de Bonnay, le 21 février 1804, de n’écrire à qui que ce soit sur les affaires politiques, en me déclarant que, si je me compromettais, il lui serait impossible de ne pas me sacrifier. Je suis fort surveillé, en pleine disgrâce à Rome, à cause de la peur qui y règne… Mes principes et ma fidélité sont invariables. Je donnerais volontiers ma vie pour mettre le roi sur le trône. Mais, dans ma triste position, je dois suivre les avis ou plutôt les ordres qu’on