Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens si mal vus, avaient rencontré dans les religieux chevaliers du Temple des concurrens habiles et achalandés. Dans un récent mémoire sur l’Administration financière des Templiers, M. Léopold Delisle a montré comment cet ordre de chevalerie, précurseur ou émule des sociétés italiennes, avait eu longtemps entre ses mains une grande partie des capitaux de l’Europe, à la fois trésorier de l’Église romaine et de beaucoup de princes et de particuliers durant tout le XIIIe siècle. Les richesses métalliques du roi de France, une partie de celles du roi d’Angleterre sont, depuis Philippe-Auguste jusqu’à Philippe le Bel, confiées au Temple de Paris et y servent parfois de gages à des emprunts. Nombre de bijoux, de lingots, de successions en numéraire, sont aussi déposés dans l’enceinte du Temple et participent de l’inviolabilité traditionnelle des édifices pieux dont jouit cette caisse des consignations. Le génie administratif des grands maîtres étendit d’une manière favorable le cercle de ces opérations à l’ouverture de nombreux comptes courans.

Après la fin tragique de Jacques Molay et de la milice du temple de Jérusalem, cette institution de crédit collectif n’eut pas d’imitateurs, et le commerce individuel des israélites ne connut en France aucune rivalité jusqu’au commencement du XVIe siècle. De riches bourgeois unirent parfois leurs efforts, comme à Vesoul en 1291, dans la fondation du « Mont-de-Salins, » pour se soustraire aux usures des banquiers de profession, mais ces associations n’aboutirent à rien de sérieux. Le peuple, lors des courts bannissemens du juif, voyait avec joie l’expulsion de ce malheureux ; il ne tardait pas à le regretter : soit que l’usurier chrétien, qui le remplaçait, se montrât plus dur que son devancier, comme Boutade incline à le croire ; soit simplement que le public payât, en définitive, les frais de toute atteinte portée au crédit.

On trouve les Lombards, durant la première moitié du XIVe siècle, non-seulement dans les villes, mais dans de simples bourgs. Aux environs de Paris ils pullulent : à Lagny, Bray ou Montereau, aussi bien qu’à Meaux ou à Provins. On est surpris de rencontrer à Talant, gros village de la Côte d’Or, aujourd’hui disparu, un petit juif qui avance au duc de Bourgogne de l’argent pour partir en guerre. Des financiers d’Asti s’établissent en Franche-Comté. Ils promettent de payer un cens annuel au seigneur, qui s’engage de son côté à leur faciliter les communications avec l’Italie (1336). Gentilshommes et « usuriers » ayant un constant besoin les uns des autres paraissent vivre alors en bonne intelligence. Des domaines sont donnés aux israélites, par de puissans princes, « en reconnaissance de leurs bons services. » Des autorisations