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principes qui les dominent ou mieux encore qui les engendrent, et en les systématisant, je leur donnerai un degré de précision ou de solidité qu’ils n’avaient pas dans sa pensée. Je le dirai, si l’on le veut, et, en effet, je le pense. Mais qu’ils y soient, c’est tout ce que j’affirme ; que d’autres les y aient reconnus avant moi, c’est ce que l’on va voir ; et qu’enfin la fécondité n’en soit pas épuisée, c’est ce que j’espère d’établir.


III

Partons de là, que ce qu’il s’est proposé de déraciner des esprits de son temps, c’est avant tout ce dogme ou cette idée de la Providence, dont on a vu que Bossuet avait, lui, prétendu faire le fort imprenable de son christianisme. Là même est l’intention de son premier écrit : Pensées diverses écrites à un docteur de Sorbonne à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre MDCLXXX, Il n’y est parlé que de la Providence, mais cette Providence est si peu celle des chrétiens qu’elle en est justement le contraire. C’est ce que j’ai tâché de montrer en essayant de définir « la philosophie de Bossuet, » et c’est ce qu’il faut bien que je redise encore. Une Providence particulière, et en quelque sorte personnelle à chacun de nous, sans le décret ou le consentement de laquelle il ne saurait, selon l’expression consacrée, tomber un seul cheveu de notre tête ; un Dieu caché, qui se manifesterait de préférence dans les cas qu’on appelle fortuits, et dont le triomphe, quand il veut paraître, serait d’interrompre, pour les faire tourner à sa gloire, les conséquences naturelles ou nécessaires de nos actes ; un Père céleste, accessible à nos vœux, à nos prières, à nos supplications, et dont la volonté se laisserait fléchir à l’intercession des saints ou de la Vierge, telle est donc l’idée que les chrétiens se font de la Providence. Ils la voient mêlée partout dans les affaires humaines. C’est elle, qui frappe ces grands coups dont les hommes et les peuples demeurent quelquefois stupides, et qui prépare la victoire du christianisme en jetant Antoine aux bras de Cléopâtre. « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » C’est elle, dont nous nous efforçons vainement d’amoindrir le pouvoir en l’appelant des noms de fortune ou de hasard. « Ce qui est hasard à l’égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut… et c’est faute d’entendre le tout que nous trouvons du hasard ou de l’irrégularité dans les rencontres particulières. » C’est elle, qui donne la prospérité des méchans en contradiction aux hommes de peu de foi, et c’est elle qui, pour rompre en nous les attaches du monde, nous envoie les infirmités, les maladies, et la mort. « Je vous loue, ô mon Dieu,