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suivre son maître dans la campagne de France. Les hasards de la guerre le lui ramenèrent deux fois l’année suivante, et il revint de lui-même en 1797, mais j’ose dire qu’il eût mieux valu, pour l’honneur de Goethe, qu’il eût évité ces trois visites-là comme il avait évité toutes les autres. Il reparut chez sa mère parce qu’il avait entrepris de lui imposer Christiane. Il savait que Mme Aia était incapable de lui refuser quelque chose, et il en abusa vilainement. On suit la marche de la négociation dans la correspondance de Mme Goethe. Son fils vient en mai 1793. Le 14 juin, billet où elle lui dit : « J’écrirai à ton amie. » Le 20, elle s’exécute, et adresse à Christiane une lettre fort guindée : « Il m’a été très agréable que les objets envoyés vous aient fait plaisir, — portez-les comme un petit souvenir de la mère de celui que vous estimez et respectez, et qui mérite, en effet, l’amour et le respect. » Après ce début qui lui ressemble si peu, Mme Aia parle de choses et d’autres en personne qui ne sait que dire, et se rattrape gauchement : « On entend la canonnade jour et nuit, — il n’est donc pas étonnant qu’on ne parle que de cela, — lorsqu’on pourrait et devrait parler de choses plus intéressantes. C’est ce qui va être fait, — en m’informant de la santé du cher petit Auguste, — j’espère qu’il se porte bien et qu’il est gai ? Dites-lui que s’il apprend bien ses lettres, je lui enverrai du bonbon, — et de beaux joujoux. Adieu et bons souhaits, du fond du cœur de votre amie. — Goethe. » Voilà une lettre qui sent le pensum. Le 25, elle écrit à son fils : a J’ai écrit à ton amie une bonne petite lettre, — qui lui fera probablement plaisir. » Le 8 juillet : « Je suis bien aise que ma lettre ait fait plaisir, — si Dieu voulait permettre que je pusse rendre tout le monde heureux, je serais tout à fait contente. » Ce calice bu, elle ne fait plus que de vagues allusions à Christiane : « Salue toute ta maison de ma part. Salue tout ce qui t’est cher. » Mais Goethe ne l’entendait pas ainsi. Il exigeait soumission entière ; son orgueil ne pouvait se contenter à moins.

Le 24 septembre 1795, Mme Goethe hasarde un léger reproche : « Cher fils.,, je te félicite de la prochaine venue d’un nouveau citoyen du monde, — seulement, ça me fâche de ne pas pouvoir faire part de la naissance de mon petit-fils, — ni m’en réjouir ouvertement, — enfin, puisqu’il n’y a rien de parfait sur cette terre, je me console en pensant que mon Wolfgang est plus heureux que s’il était mal marié. » C’était un langage indulgent. Il la fit cependant mettre en pénitence (16 octobre) : « Cher fils, je t’ai attendu cinq jours. Au lieu de toi, arrive une lettre qui parle de circonstances changées, — et qui laisse entendre, à mon grand chagrin, que tu ne pourras venir de longtemps. »