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où, abstraction faite des Chinois, on ne compte que 2,500 étrangers établis, ces étrangers, exempts de toute taxe, ne sont soumis qu’à la juridiction de leurs consuls, et que quiconque a maille à partir avec eux doit accepter leurs lois et leurs juges. L’abolition de la juridiction consulaire, le Japon rendu aux Japonais, voilà la grande question qu’on prétend résoudre, toute affaire cessante.

Sans être allé au Japon, et quoique M. Norman n’en dise rien, il est permis de croire que quand l’empereur s’avisa de donner à ses peuples une constitution qu’il plaça sous l’auguste patronage de son illustre ancêtre Jimmu-Tenno, favori et nourrisson de la déesse du soleil, sa pensée secrète était de trouver dans son parlement un point d’appui et de résistance contre les prétentions des puissances étrangères. Désormais, il ne pouvait rien leur concéder sans consulter ses chambres ; il s’était lié les mains. Mais ses chambres l’ont trop aidé, elles ont trop résisté ; elles exigent qu’il ne traite avec l’Europe et l’Amérique que sur le pied d’égalité absolue, et elles ont renversé tous les ministres qui proposaient des accommodemens, qui faisaient trop bon marché de l’honneur national. Quoi qu’on puisse leur représenter, elles répondront toujours qu’un pays qui possède vingt bâtimens de guerre et cent mille hommes d’excellentes troupes a le droit de parler haut et de faire prévaloir sa volonté.

Ce n’est pas seulement par l’exaltation de leur patriotisme qu’elles ont causé des embarras au descendant de Jimmu-Tenno. Une chambre élective doit s’appliquer à ressembler à ses électeurs, et quand ils ont beaucoup de préjugés, elle est tenue d’en avoir. Le gouvernement japonais se promettait de dire aux puissances : « Vous avez traité jadis avec un pays barbare, et vous aviez raison de prendre vos précautions. Mais aujourd’hui tout est changé, et nous méritons que vous nous traitiez en égaux. » A cet effet, on avait chargé un juriste français fort distingué de rédiger des codes inspirés des nôtres, et M. Boissonade, après avoir achevé ce grand ouvrage, a pu dire que dorénavant « celle des nations étrangères qui la première donnerait aux autres l’exemple de la confiance envers le Japon serait aussi celle qui aurait montré le plus de clairvoyance politique. » Malheureusement, les codes civil et commercial froissaient des habitudes héréditaires, des préjugés, des intérêts encore puissans, et après d’orageux débats, la chambre vient d’en ajourner l’application à quatre ans d’ici. Du même coup elle rejetait le budget de la marine. Ce double vote a provoqué une crise gouvernementale, et on ne sait encore quelle issue aura cette affaire.

Les institutions importées sont rarement d’accord avec les mœurs, et c’est une question de savoir si les mœurs seront plus fortes que les institutions, ou si les institutions corrigeront les mœurs. Pour n’en