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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/779

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des ministres et de leurs innombrables agens, est à l’égard des autorités administratives ce que la cour de cassation est aux autorités judiciaires, le régulateur suprême qui assure l’interprétation juste et l’exacte application de la loi.

On le voit, la réforme qui s’impose a un double objet. Hâter l’expédition des affaires contentieuses et faire participer le conseil à la grande œuvre législative sont les deux données capitales du problème. Or ce problème, fertile en controverses, doit être infiniment ardu si l’on en juge par l’étonnante variété des combinaisons qu’il a suscitées depuis soixante-quinze ans. A la différence de la cour de cassation ou de la cour des comptes, dont l’institution primitive n’a subi presque aucun changement, le conseil d’État n’a pas cessé d’être dans un perpétuel devenir. Sans parler des projets qui n’ont point abouti, — et Dieu sait s’il y en a eu, sous la monarchie de juillet, par exemple ! — on compte plus de cent lois, décrets et ordonnances qui l’ont, depuis l’an VIII, remanié et repétri comme une cire ductile. Ajouterais-je que la difficulté, pour le législateur, lorsqu’il lui faut toucher à ces rouages complexes, s’augmente par ce motif étrange et pourtant très réel qu’il s’agit là d’une organisation peu connue ? « On ignore généralement en France ce que c’est que le conseil d’État, » observait, on 1818, M. de Cormenin ; et cela est toujours vrai. On a cependant beaucoup écrit sur cette matière, depuis le petit livre que le baron Locré publiait sous le premier empire, jusqu’aux grands travaux de M. Léon Aucocet plus récemment de M. Edouard Laferrière[1]. L’illustre M. Vivien l’avait étudiée ici même, avec cette précision dans l’analyse qui était comme le procédé nécessaire de son rare esprit[2]. Mais l’étude de M. Vivien date aujourd’hui de cinquante années ; les aspects des questions, sinon les questions elles-mêmes, se sont renouvelés depuis cette époque lointaine. Pour les bien comprendre aujourd’hui, plus que jamais il faut remonter aux origines premières, et l’on doit creuser fort avant dans le vieux sol français, où l’institution du conseil d’État plonge par toutes ses racines. Car le gouvernement des hommes change, au fond, bien moins que ne le croit la foule, qui n’a d’yeux que pour les apparences et pour les décors éphémères.

  1. Du Conseil d’État, de sa composition, de ses attributions, de son organisation intérieure, etc., par M. le baron Locré, 1 vol., 1810. — Conférences sur l’administration et le droit administratif faites à l’école des ponts et chaussées, par M. Léon Aucoc, membre de l’institut, ancien président de section au conseil d’État, 3 vol., 1870-1876. — Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, par M. Edouard Laferrière, vice-président du conseil d’État, 2 vol., 1887-1888.
  2. Voyez la Revue des 15 octobre et 15 novembre 1841.