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politique. La réaction était fatale. Elle sut pourtant s’arrêter à mi-chemin. La restauration n’osa ou ne voulut abolir l’institution du conseil, qu’elle retrouvait au reste dans ses propres traditions.

On essaya d’abord de « renouer la chaîne des temps, » à la vérité, en tenant quelque compte des changemens accomplis. L’ordonnance du 29 juin 1814 conservait les sections, qu’elle appela des comités. Il devait y avoir un comité de législation. Quant au comité du contentieux (qui remplaçait la commission créée en 1806 et composée seulement de maîtres des requêtes assistés d’auditeurs), il comprenait des conseillers d’État, et l’ordonnance disposait qu’il pourrait être scindé en deux « bureaux, » ce qui est précisément la mesure que propose aujourd’hui M. Camille Krantz. Mais en même temps, par une réminiscence malencontreuse, on rétablissait le « conseil d’en haut, » le « conseil des parties, » c’est à-dire la pluralité des conseils de jadis, et l’on faisait revivre la distinction désormais archaïque entre les conseillers d’Église et d’épée. Cette organisation fut d’ailleurs éphémère, et, après les cent jours, le système de l’an VIII fut, en somme, maintenu par l’ordonnance du 23 août 1815. On commit toutefois une double faute : on relâcha le lien qui unissait naguère les sections, en réduisant, ou peu s’en fallait, l’assemblée générale à l’expédition des affaires contentieuses ; et l’on compromit non-seulement l’unité, mais la dignité du corps, en subordonnant les comités aux administrations dont ils étudiaient les affaires. « Chaque ministre, dit M. de Villèle, devint maître absolu dans le comité attaché à son département[1]. » Il en avait la présidence, et le comité procédait, aux termes de l’ordonnance, « d’après ses ordres. »

Ce règlement de 1815 mérite notre attention. En amoindrissant le conseil humilié et en le rapetissant à la taille du nouvel ordre de choses, il créait un type qui n’était ni l’ancien conseil du roi, ni le conseil d’État de l’empereur. Nous voyons apparaître une troisième variété, propre au régime parlementaire que la France inaugure. Dirai-je que ce type s’est peu modifié ; que le conseil de la restauration, celui de la monarchie de juillet, et celui-là même que l’assemblée nationale de 1871 avait modelé selon l’idéal de 1830, ont tous trois ensemble un air de famille, car tous trois ils présentent cette condition singulière d’un corps éminent que l’on s’est plu à investir des attributions les plus hautes, avec l’arrière-pensée de les utiliser le moins possible ? Et, en effet, à ne considérer que les textes organiques, sa compétence législative est à peu près illimitée. Il n’est pas une proposition née de l’initiative

  1. Mémoires, t. Ier, p. 323.