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commissaires du gouvernement, étaient cependant loin d’avoir satisfait à tous les desiderata. Il y manquait ces deux garanties : l’inviolabilité du juge et la délégation du droit de rendre les arrêts.

Cependant le législateur de 1848 ne rendit pas inamovibles les juges administratifs. On s’était naguère fort échauffé sur cette réforme : raison suffisante pour qu’on n’y songeât plus. Et puis, au fond, l’esprit démocratique, qui veut des mandataires élus à temps, toujours surveillés et toujours révocables, répugne au principe de l’inamovibilité. En outre, M. Vivien, pour des motifs très différens, y était hostile ; or M. Vivien, qui allait être, l’année suivante, le rapporteur de la loi sur le conseil d’État[1], fut, en 1848, un des principaux rédacteurs de la constitution. On avait du moins l’intention bien arrêtée de distinguer et même d’isoler le juge de l’administration dont il jugeait les actes. Dans cet ordre d’idées, la commission chargée d’élaborer le projet de constitution proposait de créer un tribunal administratif dans chaque département. On revenait au système présenté, en 1789, à la constituante et combattu alors par Pezons. La commission proposait, d’autre part, de confier la juridiction suprême en matière d’administration à une cour spéciale, unique et souveraine. L’institution de cette cour ne devait point entraîner la suppression du conseil d’État : on lui enlevait seulement ses attributions juridiques. La branche du contentieux se détacherait du vieux tronc et formerait un établissement distinct, par une scission analogue à ces démembremens de l’ancien conseil du roi, d’où le parlement de Paris, la chambre des comptes, et plus récemment la cour de cassation étaient nés. C’était exactement le système dont M. de Cormenin et M. Macarel avaient été jadis les promoteurs.

L’assemblée nationale recula devant cette refonte immédiate et intégrale de la juridiction administrative. Elle décida que les graves questions soulevées par le projet seraient réservées et résolues ultérieurement par des lois spéciales. La constitution, en conséquence, ne maintint que provisoirement les conseils de préfecture, et, dans le chapitre VI, relatif au conseil d’État, on évita de mentionner ses attributions juridiques. Au fond, le système de la commission était condamné. Mais si, dans la suite, il ne fut pas repris, on en retrouve plus d’un trait dans la loi organique du conseil ; car on ressaisit dans cette loi la pensée inspiratrice du projet initial, cette pensée si conforme à notre goût français de distinguer les compétences et de séparer les pouvoirs. Sans doute,

  1. Il fut, jusqu’au 2 décembre 1851, le vice-président du corps réorganisé par la loi de 1819.