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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/816

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entre l’assemblée et la section. Dans les affaires sans avocat — (le ministère d’un avocat n’était plus exigé pour toutes les affaires), — le jugement pouvait être rendu par la section seule et en séance non publique. Mais, s’il y avait un avocat, ou simplement sur la demande soit d’un conseiller de la section, soit du commissaire du gouvernement, la requête était portée devant l’assemblée du conseil. Ce n’était plus, notez-le, l’assemblée générale, réunion plénière de tous les comités. Le décret de 1852, — et ce fut la grande nouveauté, — créait, pour tenir l’audience publique, une assemblée spéciale et distincte, qui ne comprenait que les membres de la section du contentieux et dix conseillers choisis dans les cinq sections administratives.

Ainsi constituée, la juridiction eut une tâche assez lourde ; le rapide accroissement du nombre des pourvois forme un des traits saillans, le plus saillant peut-être, de la statistique du conseil durant cette période. La progression fut marquée surtout à partir de 1860. Dès cette époque, la moyenne dépassait par an le chiffre de 1,000. Quel contraste avec les deux cents litiges dont le conseil du premier empire était annuellement saisi ! Cette augmentation résultait sans doute, pour une certaine part, du prodigieux essor économique dont la France et le monde offraient le spectacle ; mais elle tenait aussi à d’autres causes, spécialement aux mesures libérales que le décret du 2 novembre 1864 édicta. Ce décret permettait à quiconque se prétendait lésé par un acte de l’administration d’introduire un recours sans autres frais que les droits de timbre et d’enregistrement. Le plus humble citoyen, pour un grief minime, pouvait ainsi porter sa plainte devant la juridiction suprême.

De ces années surtout datent les progrès remarquables de la doctrine du recours pour excès de pouvoir, dont M. Aucoc a retracé ici même le développement[1]. Or cette doctrine, — comme, il y a deux mille ans, le droit du préteur romain, — offre un exemple saisissant de ce que peut le lent effort d’une jurisprudence pour compléter, disons davantage, pour suppléer la loi. Et par là je ne crois pas me tromper en avançant que l’œuvre juridictionnelle du conseil d’État, sous ce régime autoritaire, fut, tout mis en balance, une œuvre de liberté.


VARAGNAC.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1878.