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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/833

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abscondita sapientia ; Ben Israël, Esperança de Israël ; Obra dévota de La cuna ; Calvini Institutions hisp. ; Grotius, de Satisfactione ; Dom. Johannis a Bononia de prœdestinatione.

Voltaire, qui d’ordinaire traite Spinoza plus doucement et qui nourrit même pour Spinoza de secrètes tendresses, Voltaire l’appelle aussi quelquefois « un mauvais juif. » La vérité est qu’au grand courroux de la Synagogue, dont il était l’espoir et qui vainement, par des promesses d’argent tour à tour et par des menaces, s’était efforcée de le retenir, Spinoza avait, jeune encore, déserté le judaïsme. Ayant cessé d’être juif, il n’entra point, pour cela, dans aucune des nombreuses communions chrétiennes, au milieu desquelles il vivait et dont l’influence ne laisse pas que de se faire sentir non-seulement dans ses maximes, mais jusque dans les expressions mêmes qu’il emploie. Ni juif, ni chrétien, non plus qu’il ne s’avouait ni cartésien, ni averroïste, qu’était donc ou du moins que prétendait donc être Spinoza ? Rien, si ce n’est spinoziste. Oui, avec un incommensurable orgueil, sur les ruines de toutes les philosophies aussi bien que de toutes les religions, c’était uniquement le spinozisme qu’il se proposait d’établir. Et cependant ce n’était pas de sa doctrine, non plus, sans doute, que d’aucune autre, qu’on aurait pu dire : prolem sine matre creatam. Car on se convainc, à l’inspection des ouvrages qu’il lisait de préférence, combien il avait dû se pénétrer profondément des idées juives, chrétiennes et cartésiennes. En tout cas, c’était à la philosophie que le disciple du rabbin Morteira devait finir par se consacrer tout entier. « Il abandonna la théologie, écrit Colerus, pour s’attacher à la physique. Il délibéra longtemps sur le choix qu’il devait faire d’un maître, dont les écrits pussent lui servir de guide, dans le dessein où il était. Mais enfin les œuvres de Descartes étant tombées entre ses mains, il les lut avec avidité, et dans la suite, il a souvent déclaré que c’était là qu’il avait puisé ce qu’il avait de connaissance en philosophie. Il était charmé de cette maxime de Descartes « qui établit qu’on ne doit jamais rien recevoir pour véritable qu’il n’ait été auparavant prouvé par de bonnes et solides raisons. »

On a souvent disserté et on pourrait écrire de nouveaux volumes sur les rapports de Descartes et de Spinoza. De même que c’est aux Écritures qu’il a emprunté ses idées sur Dieu, mais en faussant les paroles d’un saint Paul ou d’un saint Jean, pour s’inspirer de commentateurs tels que Maïmonide (car au dogme de la création, il substitue une doctrine d’émanation ou de procession) ; de même c’est de Descartes, mais en les altérant, que Spinoza tire la plupart de ses principes. Aussi Leibniz se croyait-il très fondé à déclarer H que c’était d’un mélange de cabale et de cartésianisme et de leurs principes finalement corrompus qu’il avait formé son dogme