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moindres variations de la pression barométrique devaient provoquer, la plupart du temps, une suffisante circulation d’air. Au surplus, un puissant ventilateur était prévu, et des appareils de ce genre suffisent à aérer des mines de houille dont les galeries tortueuses et d’un très grand développement offrent cependant à la circulation de l’air des résistances importantes. D’ailleurs on aurait dû s’abstenir d’y faire circuler les locomotives ordinaires avec leur fumée et leur échappement de vapeur. Le tunnel sous la Manche aurait sans doute été le premier champ d’emploi de la traction électrique, qui, soit sous forme de locomotives, soit autrement, commence à faire son apparition. C’est encore à l’électricité qu’on eût sans doute demandé de chasser l’horreur des ténèbres. Dans ces conditions, le tunnel ne devait, en somme, pas différer notablement, si ce n’est par la longueur, des grands souterrains déjà existans ; il eût même été d’un accès plus aisé que la plupart d’entre eux. Dans ce parcours de moins d’une demi-heure, le voyageur, grâce à l’ensemble des dispositions dont nous venons de parler, se serait à peine aperçu qu’il se trouvait à 40 mètres au-dessous de la mer. Il n’eût certain emcjut pas éprouvé plus d’appréhension qu’il n’en éprouve aujourd’hui en passant en souterrain sous la Mersey, la Clyde, la Severn ou la Tamise, ou en s’engageant sous les masses rocheuses, hautes de plus de 1,000 mètres, qui pèsent sur les voûtes des tunnels du Mont-Cenis, du Saint-Gothard ou de l’Arlberg. Le projet définitif ainsi dressé, on pensait s’en tirer avec 250 millions de francs. C’était, il est vrai, ce qu’on appelle un premier devis.

Les choses en étaient là : les travaux de recherche se poursuivaient, confirmant chaque jour les prévisions de la science. La galerie de Sangatie avait déjà une longueur de 1,800 mètres, et celle de Shakspeare’s Cliff arrivait à près de 3 kilomètres. La nature, une fois de plus, semblait vaincue par l’audacieux fils de Japhet, et les âmes généreuses de ceux qui rêvent l’union fraternelle des peuples célébraient déjà par avance le baiser de paix qu’à leur rencontre sous les flots, allaient échanger les descendans de ceux qui s’étaient vus à Bovines, à Trafalgar, à Waterloo. — Tout à coup, on apprit que le gouvernement anglais s’opposait à la construction du tunnel, et avait ordonné la discontinuation des travaux en cours sur la côte britannique. C’était en 1883, et depuis lors les partisans du tunnel ont fait ae vains efforts auprès du parlement pour obtenir un bill favorable à leurs désirs.

On a analysé ici même[1], avec trop de finesse et de pénétra-

  1. Voyez la Revue du 1er  juin 1882, le Tunnel de la Manche, par G. Valbert. p. 675.