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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/955

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bien des votes qui se seraient refusés à la république ; c’est justement un des traits caractéristiques de ces élections récentes, et ce qui leur donne un singulier intérêt moral.

Est-ce à dire que ces électeurs nouveaux qui ont voté pour la république aient voté pour tout ce qu’ont fait les républicains depuis qu’ils sont les maîtres du pouvoir, pour leurs idées, pour leur politique ? Est-ce que, dans le dernier scrutin, il y a eu à répondre à une sorte de plébiscite sommaire des dominateurs du jour remplaçant les plébiscites impérieux de l’autocratie césarienne ? Ce serait se faire une étrange idée de la politique de ces mouvemens d’opinion et du suffrage universel. En réalité, cette masse électorale encore un peu inconnue et énigmatique, de jour en jour grandissante, qui ne refuse plus son adhésion et sa force aux institutions, reste ce qu’elle est et ne dépend que d’elle-même. Elle n’a pas à consulter les radicaux, pas plus qu’elle ne se laisse arrêter par les chefs conservateurs qui voudraient la retenir. Elle n’est d’aucun parti. Elle entre librement dans la république avec ses instincts, ses vœux, ses intérêts, et si elle ne sait pas trop encore de quel côté elle se tournera, où elle portera son poids et son influence, il est bien clair dès ce moment qu’elle n’est ni pour les agitations, ni pour les violences intérieures, ni pour les politiques de secte. Par son tempérament, par ses mœurs, elle est étrangère aux dissensions factices, à tout ce qui est intrigue, œuvre de parti ou de faction ; elle est essentiellement pour la paix, pour la paix religieuse aussi bien que pour la paix civile.

Sur ce point, les républicains les plus éclairés, les politiques c\e parti, sans oser toujours dire toute leur pensée, ne sont pas loin d’être d’accord avec les conservateurs. Ils sentent bien que le meilleur, le plus sûr moyen de conquérir et de fixer la nation, même la partie de la nation qui a plus ou moins résisté jusqu’ici, c’est de la ménager dans ses sentimens, dans ses traditions. Il y a eu certes dans les dernières semaines de juillet bien des programmes répandus à profusion dans le pays. Bien peu ont gardé l’accent violent et âpre des jours de lutte ; bien peu ont avoué devant les électeurs la prétention d’imposer les passions d’un radicalisme batailleur : c’est bon pour les polémiques de journaux ! La plupart de ces programmes et de ces discours récens ne respirent que conciliation. Ils disent le mot : ils sont décidément pour la « république libérale et ouverte à tous, » pour le respect des consciences, pour l’apaisement moral. Si les républicains qui parlent ainsi ne sont pas complètement sincères, ils prouvent du moins qu’ils tiennent à rester dans le courant de l’opinion française. M. Jules Ferry, qui n’a pas l’habitude de déguiser sa pensée, est allé dernièrement s’entretenir avec ses électeurs des Vosges, et il n’a pas éludé toutes ces questions de direction, d’orientation, qui s’agitent aujourd’hui. Il est allé droit au fait et a nettement, résolument désavoué la politique