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À l’horizon se dessine la tour de Kounia-Ourgendj. Puis la route entre parmi les touffes de roseaux, et les chevaux ont de l’eau jusqu’au ventre, il faut souvent lever les genoux pour ne pas être mouillé.

— Il en est de même chaque année, me dit le guide, quand l’eau du fleuve croît, tous ces bas-fonds se couvrent d’eau, et la circulation est interrompue.

Enfin le sol s’élève, la terre d’argile dure apparaît de nouveau. Un temps de galop, et voici Kounia-Ourgendj[1]. De grands murs en terre ceignent la ville, qui a un important bazar, supérieur comme nombre de boutiques à celui de Tchimbaï, mais de beaucoup inférieur à Koungrad.

Lorsque j’arrivai en cette ville, une armée khivienne, ou plutôt une bande de gens armés, commandée par le fils du premier ministre, la traversait. Voici pourquoi. Des Turkmènes avaient cultivé quelques champs dans cette longue bande de terre humide suivant l’ancien lit du fleuve et allant vers le Sari-Kamish. Or, ces Turkmènes, invités à payer au khan les impôts sur la récolte, avaient montré peu d’empressement à s’acquitter envers le fisc. Et le premier ministre avait chargé son fils d’aller visiter, avec escorte, les sujets de son maître. La récolte du blé ne devait se faire que dans une quinzaine. Ils arrivaient donc à temps pour percevoir eux-mêmes l’impôt.

Les ruines de l’ancienne ville s’élèvent à un kilomètre environ de la ville moderne. Elles se composent de deux vieux minarets, distans l’un de l’autre de 200 mètres environ et présentant la plus complète analogie avec celui de Cheikh-Abas-Ali. Il y a aussi des mausolées. L’un d’eux est la tombe de Tyouraba-Hanoum, fille du sultan kirghize Djanibek-Khan. C’est une coupole supportée par de larges pleins cintres. Les céramiques de la coupole sont bien conservées, celles des bas côtés sont plus efîritées. D’autres mausolées sont peu intéressans. Non loin de là est une colline couverte de tombeaux où aurait eu lieu un grand massacre.

C’est en visitant ce tombeau que je fis connaissance de deux pèlerins. En entrant, je les vis dévotement accroupis devant une tombe. Questionnant le gardien, ils se mêlèrent à la conversation. La connaissance fut vite faite. Ils avaient la figure souriante, des têtes de vieux Uzbegs, avec leurs barbes grises et leurs petits yeux noirs. Tout en causant et en regardant les quatre murs du monument, nous parvînmes à la porte du mausolée, au grand jour ; c’étaient des gens du peuple, au costume pauvre, des Uzbegs de Pitniak.

  1. C’est de Kounia-Ourgendj que part la route des caravanes sur Askhabad.