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vainqueurs, le tumulte du combat en ont tenu lieu : n’a-t-on pas dit que le ciel en trembla, et quand le ciel tremble, il pleut. Cela est connu. Réfléchissez, d’ailleurs. L’air, au-dessus d’un champ de bataille, est admirablement préparé à la pluie : songez à la chaleur qui se dégage des combattans ; songez à la vapeur d’eau qui se dégage de leurs corps, sous forme de transpiration. L’air se remplit de vapeur, et dans cet air ébranlé par les cris et le tumulte, celle-ci se condense, la pluie se forme et tombe. Pourquoi le bruit provoque-t-il cette condensation ? Je l’ignore ; mais le fait est constant. Il a plu après les grandes batailles de l’antiquité ; et, dans les temps modernes, il en a été de même. Rappelez-vous, du reste, les observations faites durant la guerre civile, et qu’a résumées M. Powers, dans War and the Weather, et d’où il ressort que chacune des 198 batailles de quelque importance a été suivie d’une chute de pluie : du reste, le même M. Powers n’a-t-il pas expressément dit que, pour lui, l’influence de la canonnade est à tel point certaine qu’en temps de paix, — et de sécheresse, — on pourrait, avec quelques coups de canon, se procurer, sans grands frais, la pluie nécessaire à la vie des cultures ? Et, voici vingt ans passés, M. Powers n’a-t-il pas donné des chiffres précis sur le coût d’une expérience de ce genre ?»

Le gouvernement ne répondit rien, et pour cause. Comme les libellules, les fonctionnaires ont une durée éphémère, — ils vivent l’espace d’un président, et il est toujours entendu que l’œuvre et les plans de ceux qui s’en vont étaient absurdes, et que le mieux est de les oublier radicalement, ce à quoi l’on se résigne sans peine. Le gouvernement n’était point au courant de la question : mais c’était chose facile de l’y mettre. Le général Dyrenforth lui montra les chiffres et les calculs de M. Powers, auquel les généraux Sherman, Garfield, Logan et d’autres encore s’étaient fort intéressés. L’idée de M. Powers était d’utiliser l’artillerie nationale, fort nombreuse, qui ne semblait pas devoir être employée de sitôt aux choses de la guerre, — et de transporter dans l’ouest un certain nombre de canons. Son devis comportait l’exécution de deux expériences, consistant chacune en la décharge simultanée de 200 canons, cent fois de suite, c’est-à-dire 20,000 coups. Tous frais comptés, depuis la mise en état des canons jusqu’à leur réintégration dans les arsenaux, sans oublier le transport, l’achat des cartouches et de cinquante tonnes de loin pour servir de bourre, la rétribution d’un personnel assez nombreux, etc., chaque expérience devait revenir à plus de 400,000 francs. Le gouvernement frémit. Assurément, une pluie opportune peut sauver une, récolte : mais encore faut-il savoir quelle étendue de récolte cette pluie coûteuse sauverait,