d’immenses progrès ont été accomplis dans Pétat de la masse ouvrière. La révolution française dont on ne cesse de parler, mais elle se réalise tous les jours dans les lois, dans les institutions, dans la pratique universelle ! C’est là ce qu’il y a de réel, de légitime, et de sérieux dans le mouvement contemporain. Ce qui est factice et purement anarchique, c’est cet esprit à la fois suranné et révolutionnaire qui se mêle à tout pour tout dénaturer, qui ferait des nouveaux syndicats des pouvoirs cent fois plus despotiques et plus arbitraires que les vieilles corporations ; c’est cet esprit qui ne tendrait à rien moins qu’à livrer les chefs d’industrie à leurs ouvriers, le monde tout entier du travail à la tyrannie de quelques meneurs disposant de populations fanatisées ou abusées. C’est ce qui arrive tous les jours ; c’est ce qui explique aussi, — à part la saison, — que ces effervescences périodiques restent isolées et sans écho au milieu d’une masse nationale qui ne juge ces affaires du travail qu’avec son instinct pratique, avec son bon sens. De quoi s’agit-il dans cette grève, qui a tout récemment éclaté dans les mines du Tarn, à Carmaux ? C’est bien simple, quoique vraiment bien singulier. Un ouvrier mineur qui est devenu tout à coup, à ce qu’il paraît, un personnage, M. Calvignac, a été nommé conseiller municipal, maire, puis conseiller d’arrondissement. Il a eu de l’avancement : c’est fort bien pour sa fortune politique ! Malheureusement il est plus occupé de ses propagandes que de son travail : le fait est que sur quatre-vingt-dix jours il n’aurait paru que dix-sept fois à la mine. La compagnie a fini naturellement par se lasser et s’est décidée à prévenir ce médiocre ouvrier que, s’il ne pouvait pas mettre plus de régularité dans son travail, elle serait obligée de se passer de ses services ; il n’en a tenu compte, il a même répondu assez lestement, tout en continuant à suivre ses fantaisies. Jusqu’ici rien de mieux : l’ouvrier Calvignac use de son droit de ne pas travailler, la compagnie use du sien en cherchant un ouvrier plus exact ; — et c’est une mauvaise plaisanterie de voir dans tout cela une offense pour le maire de Carmaux, pour le suffrage universel. Il s’agit tout simplement d’une exploitation de mines, d’un ouvrier qui n’est pas à son travail, et la compagnie n’avait évidemment rien de mieux à faire que de rendre la liberté à ce coopérateur inutile. Qu’arrive-t-il, cependant ? Le mot d’ordre est donné aussitôt ; une partie de la population minière, la plus inféodée aux syndicats, s’agite, se met en grève, faisant violence aux ouvriers désireux de continuer leur travail, livrant une sorte d’assaut à la direction et réclamant, avec des cris de mort, la démission du directeur. Assailli jusque dans sa demeure, traqué de chambre en chambre, seul, à peu près sans protection contre une foule ameutée, le malheureux directeur, forcé enfin dans ses derniers retranchemens, n’a bientôt plus d’autre ressource que de signer sous la menace sa démission pour échapper à la mort. Il n’a tenu à rien que la tragédie qui ensanglantait
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