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dont chaque partie se relie aux autres. Si l’on détache imprudemment une de ces pierres si exactement jointes, on risque d’ébranler ou de gâter l’édifice. Or la chambre, depuis quelques années, est assaillie de propositions qui ne visent pas à moins qu’à ruiner le monument. Plus d’une de ces propositions, dictée par un sentiment généreux ou par une idée juste, mérite d’être accueillie ; encore faut-il l’approprier et l’enchâsser de façon qu’elle s’incorpore à cet édifice sans en compromettre l’harmonie ou la solidité. Est-ce bien une assemblée politique qui, dans le tourbillon de passions et d’affaires où elle se trouve fatalement entraînée, peut faire elle-même ces délicats triages, opérer ces adaptations minutieuses et se consacrer à cette œuvre continue de préservation ? Il serait téméraire de l’espérer. C’est pourquoi la combinaison de M. Ricard me paraît être la vraie, qui placerait le code sous la garde de la section de législation, — de cette section, au fait, qui les a créés. Je crois que tout projet, toute proposition qui touche au droit civil devrait être d’office renvoyée au conseil, et que l’on peut obtenir ce résultat sans violer la constitution, en édictant une procédure plus ou moins conforme au système de M. Ricard[1]. On le peut, et il le faut ! Autrement, avec les plus louables intentions, l’on n’aura rien fait que consacrer, par un nouvel aveu d’impuissance ou d’insouciance, le déplorable état de choses qui existe, à cet égard, depuis vingt ans ; situation fausse, inconséquente, et qui n’est digne, en vérité, ni du conseil d’État qui la subit, ni des pouvoirs publics qui la conservent.


VARAGNAC.

  1. C’est une question de savoir à quel moment ce renvoi aurait lieu. Serait-ce immédiatement après le dépôt de la proposition ? Serait-ce plus tard, entre les deux délibérations de l’assemblée qui en est saisie, ou avant que le projet fût transmis à l’autre chambre, ou après que les deux assemblées l’auraient voté tour à tour ? Dans les trois premiers cas, le conseil participe d’une façon effective à la préparation de la loi. Dans le dernier cas, au contraire, il n’a plus qu’à réviser une besogne faite sans lui. Sa mission se borne à examiner si, dans le projet déjà adopté par le parlement, tout se tient bien ; si tel article, par exemple, n’est pas en contradiction avec tel autre ou avec les textes antérieurs et les règles générales de la législation. Ce rôle de reviseur, modeste en apparence, serait, à y bien regarder, un rôle très grand, et même trop grand. Le conseil d’État deviendrait le gardien suprême de la loi française. Ses avis ressembleraient fort à des déclarations de conformité. Par où, peut-être, il contribuerait à rendre la loi plus auguste, la faisant plus harmonique, et aussi plus stable, moins prompte à se transformer au gré de tous les souffles qui passent. Mais qui ne voit à combien d’obstacles on se heurterait ? Le parlement supporterait-il seulement un jour cette censure ?