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et décente d’un parlement qui devance de quelques jours à peine le terme légal. Tant d’assemblées élues disparaissent au milieu de l’impatience et du mépris ! Celle-ci laisse derrière elle une honnête mémoire. Son œuvre législative est bonne et son souvenir ne demeurera lié dans l’histoire à celui d’aucune catastrophe. Un observateur impartial est tenu de reconnaître que le ministère Salisbury a été heureux. Heureuse, la politique financière de M. Goschen, heureuse, la politique irlandaise de M. Balfour, heureuse, la politique extérieure de lord Salisbury. Quelques incidens, mais point de désastres, sur aucun point de l’immense empire britannique, où tant d’intérêts peuvent, à toute heure, entrer en conflit. Rien qui puisse entrer en comparaison avec Isandula, Majuba-hill, ou la mort de Gordon-Pacha. C’est de la chance ; mais la chance est le mérite suprême des ministres. L’autre soir, en buvant de la bière à Iéna, le prince de Bismarck se vantait d’avoir été heureux. Sous ce nihilisme apparent du grand joueur se cache la conviction profonde que tout homme fait sa chance et que, décidément, les heureux sont les habiles, à moins qu’ils ne soient les audacieux.

Lord Salisbury était, en 1886, le chef d’une majorité de coalition dont les élémens semblaient prêts à se disjoindre. Guerre intestine entre le jeune et le vieux torysme, entretenue par la personnalité tapageuse et gênante de lord Randolph Churchill ; opposition de principes entre les whigs qui suivaient le marquis de Hartington et la bande radicale qui prenait le mot d’ordre de M. Chamberlain. Tout cela s’est arrangé. Le marquis de Hartington a laissé faire, lord Randolph Churchill s’est mis à l’écart. Après six ans, le parti unioniste était plus homogène qu’au début. Pourtant, il ne s’était pas contenté de durer au pouvoir, de se maintenir en équilibre. Il avait fait des lois, accompli des réformes, continué prudemment l’œuvre de transformation sociale. L’instruction libre, c’est-à-dire laïque, avancée d’un pas ; la décentralisation administrative et parlementaire, commencée par la création des county councils ; l’institution ou, si l’on veut, la restauration de la petite propriété rurale par la loi Collings qui permet au paysan d’acquérir peu à peu la terre qu’il cultive, voilà les principaux points du programme réalisé.

Pendant ce temps-là, M. Balfour avait pacifié l’Irlande. Par des mesures vigoureuses de répression, il avait poussé ses ennemis aux violences du Plan de campagne, qui ont beaucoup nui au parti nationaliste dans l’opinion de l’Europe. Mais ce n’est rien d’être un ministre « à poigne. » M. Balfour a montré une réelle intelligence des besoins économiques du pays. Il a développé la prospérité matérielle, fait voter un land bill moins vaste que celui de M. Gladstone en 1886, mais fondé sur les mêmes principes. Ce