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pays de Galles, près de Festiniog. Le parti vainqueur a mis la police en déroute et se vante de l’avoir poursuivie pendant quatre milles. L’idée de « Bobby, » fuyant à travers champs, avec son casque et son truncheon, doit réjouir les amateurs de pantomimes. Malheureusement de telles prouesses sont devenues rares. En dehors des politiciens de profession, il n’y a guère que la canaille qui aille aux meetings. Tout le monde reconnaît que le sort de l’élection est entre les mains du citoyen paisible qui reste chez lui en pantoufles et ne se risque jamais dans les salles de réunion.

Aussi, est-ce sur celui-là que se concentre l’effort. La littérature électorale pleut chez lui sous toutes les formes : journaux, brochures, feuilles volantes. Sur ces feuilles sont énumérés tous les méfaits du gouvernement mis en regard des vertus de l’opposition, à moins que ce ne soit le contraire, qui ne paraît pas moins plausible. On croit lire la légende du bon Gladstone et du méchant Balfour.

Quant aux circulaires, qu’elles émanent d’un candidat tory ou d’un candidat radical, elles se ressemblent étrangement. Toutes veulent le progrès social, l’intégrité de l’empire, l’économie, les dégrèvemens d’impôt. Toutes désirent ardemment l’amélioration du sort des travailleurs. Ah ! comme ces gens-là aiment le peuple !..

Il est une phrase qu’on cite volontiers comme spécimen d’éloquence électorale : « Que le lion britannique grimpe aux forêts américaines ou qu’il coure les mers, jamais il ne rentrera les cornes pour se cacher honteusement dans sa carapace. » Il est malheureusement trop probable que cette phrase n’a jamais fait partie d’un manifeste authentique. M. Stephens, candidat conservateur à Hornsey, me console presque, lorsqu’il me montre « le parti irlandais qui, privé de sa tête, s’assoit sur celle du parti libéral anglais qu’il tient, pour ainsi dire, dans le creux de sa main. » Ce parti sans tête qui tient dans sa main la tête d’un autre parti et qui s’assoit dessus, n’est assurément pas une médiocre trouvaille, et le « pour ainsi dire » y ajoute la dernière touche, ce je ne sais quoi qui achève, et qui désespère l’imitation.

Les candidats adressent souvent à chaque électeur une lettre autographiée, que le paysan et l’ouvrier prennent pour une lettre autographe. Quelquefois, se trouvant bon air, ils y joignent leurs photographies. Les deux gentlemen qui aspiraient à représenter dans le parlement la circonscription où je demeure m’avaient ainsi gratifié de leur image. Car on s’obstine à me maintenir sur le registre, bien que je n’y aie aucun droit ni aucune prétention. La loi est claire cependant. Pour voter il ne faut être ni femme, ni pair d’Angleterre, ni idiot, ni banqueroutier, ni mort, ni étranger. Je n’ai pas besoin de dire dans quelle catégorie je rentre. Et