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tous socialistes, à présent ! » À la bonne heure ! c’est à peu près ainsi que le roi Richard II, après l’assassinat de Wat Tyler, cria aux insurgés stupéfaits : « c’est moi qui serai votre chef, maintenant ! » Le socialisme de sir William Harcourt n’empêchera jamais les Rothschild de dormir. Mais qu’arrivera-t-il le jour où l’on mettra ce socialisme à l’épreuve ? Or ce jour-là n’est pas loin.

Jusqu’à quel point la reine s’est-elle immiscée dans la formation du cabinet ? C’est une question qui a été très agitée dans le public et qu’il serait intéressant de résoudre, non par vaine curiosité, mais pour éclairer un délicat problème d’histoire et de droit constitutionnel. On peut dire, sans une ombre de flatterie, que la reine, à ce point de vue, a été un souverain modèle, qu’elle a constamment allié l’activité et l’abnégation, la franchise et le tact. Elle a fait mieux qu’observer les convenances de sa difficile situation : elle a, par sa conduite, posé des règles pour ceux qui viendront après elle. Serait-elle cette fois sortie des limites qu’elle s’est posées à elle-même ? Non, ce petit chagrin a été épargné aux amateurs de monarchie constitutionnelle, ou simplement, de consistance morale, à tous ceux qui n’aiment pas à voir un caractère se démentir. On a parlé de l’intervention de la reine à propos de M. Labouchère et de lord Rosebery. Elle aurait repoussé l’un, pesé sur l’autre pour le faire entrer dans le cabinet. Sur le premier point, nous avons l’affirmation de M. Labouchère lui-même, mais nous avons aussi la réponse de M. Gladstone. Le premier ministre s’est souvenu de certains votes de M. Labouchère contre les dotations princières et surtout de certaines plaisanteries du journal Truth contre quelqu’un qui tient de très près à la reine. Ces plaisanteries eussent rendu assez pénible le baise-mains traditionnel par lequel les ministres entrent en fonction. M. Gladstone n’a pas jugé à propos d’employer en faveur de M. Labouchère l’insistance persuasive qu’il a déployée autrefois pour faire accepter sir Charles Dilke. Est-ce galanterie, prudence, habileté ? Il ne serait peut-être pas très difficile de le deviner si on s’en donnait la peine.

M. John Morley retourne à son ancien poste de secrétaire pour l’Irlande. Poste bien modeste pour un tel homme, si les événemens n’en avaient fait, momentanément, le plus important du cabinet. En effet, M. Morley assume la lourde mission de rédiger et de défendre, sous l’inspiration de son chef, le bill qui donnera l’autonomie à l’Irlande. C’est une besogne de philosophe que d’écrire une constitution, plus malaisée cependant qu’on ne l’eût jugée au temps de Platon. Deux circonstances simplifieront la tâche de M. Morley. D’abord le rachat de la propriété foncière, qui greffait sur la difficulté