Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas tenter de s’abreuver encore au fleuve où se sont abreuvés nos pères ? Oh ! à titre d’appoint seulement ! et pour le cas où la consommation viendrait, comme cela arrive maintenant tous les étés, à dépasser les disponibilités en eau de source. Je ne parle pas, bien entendu, de délivrer jamais au public l’eau puisée actuellement par les machines municipales dans la traversée de Paris. Le service, cependant, ne se fait pas scrupule de nous y condamner tous les ans. Cette eau-là est contaminée, autant qu’eau peut l’être. Ne fût-elle pas dangereuse, qu’elle serait encore répugnante, ce qui suffit à la faire exclure. Mais l’eau prise assez à l’amont, au-delà de Corbeil, peut être même dans la région de Melun ou de Montereau, et convenablement filtrée d’ailleurs, sans être aussi agréable que l’eau de source, sans être aussi fraîche, ni peut-être aussi cristalline, ne serait pas plus malsaine qu’elle. Plus d’une grande ville se contente d’eau de rivière, filtrée, s’entend.

L’ancienne capitale de la Diète germanique, la belle et riche cité de Francfort, à son approvisionnement en eau de source, ajoute en été un fort utile supplément puisé dans le Mein, et soumis, avant d’entrer dans la distribution, à une filtration méthodique et efficace. Berlin ne boit que de l’eau de la Sprée ou du lac Tegel, ayant également subi la filtration. À Varsovie, la filtration encore rend parfaitement potables les eaux limoneuses de la Vistule. Les cinq millions d’habitans de Londres n’ont d’autre eau que celle prise dans la Tamise, en amont de la ville, et que le filtre aussi rend propre à tous les usages, y compris celui de la boisson. L’eau de rivière filtrée est en usage dans nombre de villes américaines, et il ne semble pas que l’état sanitaire des nombreuses populations qui s’abreuvent ainsi ait particulièrement à en souffrir. À Varsovie, l’eau puisée dans la Vistule contient 3,000 microbes. À sa sortie des filtres, il n’y en a plus que 241. C’est tout autant qu’on en trouve aux meilleurs momens dans la Dhuis à Ménilmontant. Et je pourrais, à l’infini, multiplier ces exemples de l’action destructive exercée par le filtrage sur ces inévitables corpuscules.

Mais, quand je parle d’eau de rivière admise dans la consommation, il s’agit, bien entendu, — et je supplie qu’on veuille bien m’en donner acte, — il s’agit d’eau d’abord puisée dans une rivière, en amont des grands centres habités, et non au beau milieu de la pollution, et ensuite soigneusement filtrée.

Ce filtrage, j’en conviens, est une opération délicate, qui doit être préparée et conduite avec beaucoup d’intelligence et des précautions infinies. Elle n’est pas, non plus, sans coûter quelque chose. Elle est d’ailleurs susceptible encore de nombreux perfectionnemens. Il faut qu’à l’imitation de ce qui se passe dans la nature, l’eau, répandue en couche mince à la surface des filtres,