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en l’écoutant. On était toujours avec lui, à la déclaration des Droits de l’homme et à l’aurore de la Révolution. Le reste n’était qu’un accident, déplorable sans doute, mais qui n’était pas, à son avis, plus décourageant que l’histoire des naufrages ne l’est pour les bons marins. » Tel il fut jusqu’à la dernière heure de sa vie, conservant toujours la même intrépidité et la même foi dans les destinées de la France. Il était homme, si l’occasion s’en présentait, comme disait Mme de Montagu, à se rembarquer au premier jour sur les quatre planches mal jointes du radeau de 1791, et à risquer de nouveau sa fortune, et non pas seulement la sienne, dans l’entreprise.

Il avait le tempérament des chevaliers d’autrefois et le même calme dans l’ardeur : — « Gilbert, écrivait à Mme de Grammont Mme de Montagu, est tout aussi bon, tout aussi simple dans ses manières, tout aussi affectueux dans ses caresses, tout aussi doux dans la dispute que vous l’avez connu. Il aime tendrement ses enfans, et, malgré son extérieur froid, est aimable pour sa femme. Il a des formes affables, un flegme dont je ne suis pas la dupe, un désir secret d’être à portée d’agir. J’évite de traiter directement avec lui tout ce qui touche à la Révolution, aux choses qu’il défend comme à celles qu’il condamne. »

Après cinq semaines passées à Wittmold, La Fayette loua un château à Lehmkulen, tout près de Mme de Tessé, qu’il aimait et qui avait avec lui une parfaite communauté d’opinions. M. de Mun vint le voir, et aussi tous les Maubourg, y compris leur sœur, M de Maisonneuve. Mais une visite inattendue le charma : celle de Mme de Simiane. Munie d’un faux passeport, elle s’était échappée de France, tout exprès pour retrouver La Fayette. Les tristesses et les malheurs de la Révolution avaient amaigri son beau visage, sans lui ôter son attrait. Elle s’établit chez Mme de Tessé et fut étonnée en arrivant de n’entendre parler que de projets de mariage.

Charles de Latour-Maubourg, frère de l’aide-de-camp du général, venait de demander la main de m’ e Anastasie de La Fayette. Elle ne lui apportait en dot que sa jeunesse et ses vertus, et lui, sauf l’espérance d’une somme de 30,000 francs, rien de plus que son courage et sa droiture. Ni l’un ni l’autre ne craignaient la pauvreté. Mme de La Fayette trouvait le parti avantageux ; son mari y donnait son entière adhésion. Mais à Wittmold on jeta les hauts cris. M. de Mun prétendait qu’on ne se mariait pas ainsi, hormis chez les sauvages d’Amérique, et Mme de Tessé soutenait qu’on n’avait rien vu de pareil depuis Adam et Eve. Les sarcasmes n’y firent rien. Le mécontentement de Mme de Tessé se fondit bientôt en une tendre et aimable sollicitude. On revint s’installer à Wittmold pour célébrer