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le 9 mai 1793, les bâtimens de guerre et les corsaires français à amener dans nos ports les navires neutres chargés soit de marchandises appartenant à une nation ennemie, soit de subsistances qui lui seraient destinées, et à vendre les cargaisons au profit des preneurs. Ces dispositions, dont on avait d’abord excepté les Américains, les atteignirent ensuite avec beaucoup de rigueur, lorsque, le 19 novembre 1794, ils se furent alliés, par un traité de commerce, avec les Anglais. Le Directoire déclara que ce traité violait le traité antérieur du 6 février 1778 entre la France et les États-Unis. M. Adet, notre ministre plénipotentiaire à Washington, signifia, le 12 novembre 1796, au secrétaire d’État de l’Union que les vaisseaux américains seraient soumis de la part des Français aux mêmes traitemens qu’ils se laisseraient imposer par la marine anglaise. M. Monroë, ministre à Paris, fut alors rappelé ; M. Pinckney étant venu pour le remplacer, le Directoire refusa ses lettres de créance. Bientôt tous rapports cessèrent entre les deux gouvernemens.

Cette situation politique entre deux pays faits pour s’aimer et se soutenir resta longtemps ignorée de La Fayette. Quand il la connut, il écrivit à Washington[1] : « D’après les nouvelles que je reçois, je suis tout à fait persuadé que le Directoire désire être en paix avec les États-Unis. Le parti aristocrate, dont la haine pour l’Amérique date du commencement de la Révolution européenne, et le gouvernement anglais, qui, depuis la déclaration d’indépendance, n’a rien oublié, ni pardonné, se réjouissent, je le sais, de la perspective d’une rupture entre deux nations, autrefois unies pour la cause de la liberté, et ils s’efforcent par tous les moyens en leur pouvoir de nous précipiter dans la guerre. Mais vous êtes là, mon cher général, indépendant des partis, vénéré de tous, et, si, comme je l’espère, vos renseignemens vous portent à juger favorablement les dispositions du gouvernement français, votre influence doit empêcher que la brèche soit agrandie et assurer une noble et durable réconciliation. »

Le temps n’était plus où, dans les relations avec les États-Unis, La Fayette exerçait une influence souveraine sur le gouvernement de son pays ; les portes de la patrie ne s’ouvraient pas encore pour lui et il ressentait toutes les douleurs de l’exil. Il était impossible que sa pensée ne se reportât pas vers les événemens prodigieux auxquels il avait été mêlé trois ans.

Sous le titre de Souvenirs en sortant de prison, il a recueilli ses jugemens sur les personnes et les choses de la révolution. Le nouveau coup d’État du 18 fructidor venait s’ajouter aux crimes déjà commis et avait eu à l’étranger un grand retentissement ; des

  1. Correspondance, t. IV, p. 431 et suiv.