Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réparatrice qui, sous les auspices de votre génie, a fait de si grandes choses, moins grandes, cependant, que ne le sera la restauration de la liberté.

« Il est impossible que vous, général, le premier dans cet ordre d’hommes qui, pour se comparer et se placer, embrassent tous les siècles, vouliez qu’une telle révolution, tant de victoires et de sang, de douleurs et de prodiges, n’aient pour le monde et pour vous d’autre résultat qu’un régime arbitraire. Le peuple français a trop connu ses droits pour les avoir oubliés sans retour ; mais peut-être est-il plus en état aujourd’hui, que dans son effervescence, de les recouvrer utilement ; et vous, par la force de votre caractère et de la confiance publique, par la supériorité de vos talens, de votre existence, de votre fortune, vous pouvez, en rétablissant la liberté, maîtriser tous les dangers, rassurer toutes les inquiétudes. Je n’ai donc que des motifs patriotiques et personnels pour vous souhaiter, dans le complément de votre gloire, une magistrature permanente ; mais il convient aux principes, aux engagemens, aux actions de ma vie entière, d’attendre, pour lui donner ma voix, qu’elle ait été fondée sur des bases dignes de la nation et de vous.

«J’espère que vous reconnaîtrez ici, général, comme vous l’avez déjà fait, qu’à la persévérance de mes opinions politiques se joignent des vœux sincères pour votre personne.

« Salut et respect. »

Personne alors en France n’aurait osé écrire cette lettre. Elle honore un homme autant qu’une victoire. Une femme seule en eût été capable, et cette femme envoyait de Rome à La Fayette ces lignes éloquentes : « j’espérerai toujours de la race humaine tant que vous existerez. Je vous adresse ce sentiment du haut du Capitole, et les bénédictions des Ombres vous arrivent par ma voix. » On a reconnu Mme de Staël.


III.

L’établissement de l’empire ne fit que maintenir La Fayette dans sa ligne de conduite.

La retraite lui était de plus en plus commandée par l’honneur. Jamais Mme de La Fayette ne fut plus heureuse. Il lui fut enfin permis, dans ses dernières années, de goûter un bonheur dont elle n’avait jamais conçu l’espérance. Sa félicité ne fut troublée que par les inquiétudes que lui donnait son fils George, qui faisait vaillamment son devoir sur le champ de bataille, et qui fut blessé à la bataille du Mincio.

Pendant le voyage qu’il fit en France pour guérir sa blessure,