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devoir de courtoisie. Encore fallait-il que les circonstances parussent favorables et que le roi Humbert se trouvât dans un de ses ports de la Méditerranée. Une première fois, le roi Humbert avait dû aller à la Spezzia où nos navires se disposaient à aller le saluer de compagnie avec une escadre anglaise. Puis tout d’un coup, au dernier moment, le voyage royal de la Spezzia se trouvait contremandé par quelque mystérieuse raison de diplomatie, et nos navires restaient tranquillement dans les eaux de Provence. Qu’en serait-il cette fois du voyage du roi à Gênes à propos des fêtes de Christophe Colomb et de l’exposition italo-américaine ? Le roi irait-il à Gênes ? ne serait-il pas de nouveau arrêté au dernier moment ? Il s’est décidé ; le gouvernement français à son tour n’a point hésité : il a donné l’ordre à notre escadre, commandée par M. l’amiral Rieunier, de se joindre aux escadres de la plupart des nations devant Gênes, d’aller porter au souverain d’Italie les complimens de M. le président de la république, et encore une fois, la comédie des commentaires a recommencé. Qu’allait signifier la présence de notre escadre à Gênes ? Comment seraient reçus nos marins s’ils débarquaient ? N’y aurait-il pas des manifestations également dangereuses si elles étaient malveillantes ou si elles étaient trop sympathiques ? C’est bien clair, il y a des politiques italiens qui auraient autant aimé ne pas voir nos cuirassés à Gênes, qui ont affecté de s’effaroucher de la visite de notre escadre et même de la représenter comme un coup monté contre la triple alliance. Eh bien, non ! de tous les commentaires, il ne reste rien. Notre escadre a été la bienvenue à Gênes. M. l’amiral Rieunier, chargé d’une lettre de M. Carnot, et ses officiers ont été reçus comme ils devaient l’être par le roi et la reine d’Italie. Nos marins n’ont trouvé partout que cordialité. Tout s’est bien passé et c’est une puérilité de voir dans un acte de courtoisie une tentative pour détacher l’Italie de ses alliés. L’Italie a la politique que ses chefs lui font ; elle la paie assez cher pour en connaître le prix et l’efficacité. C’est son affaire ! Il est évident que rien n’est changé diplomatiquement ; mais ce qui est vrai, c’est qu’il suffit d’une circonstance favorable pour réveiller la vieille et instinctive sympathie entre deux peuples que la politique a divisés, que les traditions et les intérêts rapprochent.

Avant de prendre un rôle dans les affaires du continent et de donner par des actes la mesure de sa politique, le nouveau ministère anglais avait à s’organiser et à se compléter lui-même, à s’établir, en un mot, au pouvoir. Il l’a fait sans trouble, sans embarras bien sérieux, en s’assurant de plus par les vacances du parlement quelques mois de loisirs et de liberté ; mais comme on ne peut contenter tout le monde dans la distribution des portefeuilles, comme aussi les affaires les plus sérieuses ont quelquefois leurs côtés plaisans, M. Gladstone n’a pu