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sociétaires, c’est-à-dire plus de 900 d’entre eux, est fixé dans la capitale, sans parler de 150 autres qui habitent les communes suburbaines et de 88 installés dans Seine-et-Oise[1].

Une question s’interpose ici tout naturellement. Après que l’élève des Arts et Métiers a conquis son parchemin, ne peut-il, s’il est poussé par l’ambition, aspirer à de plus hautes destinées ? Il n’est pas impossible que quelque garçon aventureux, obligé, sous l’empire de l’ancienne loi, de servir quatre ans dans un régiment du génie, faute des 1,500 francs du volontariat, n’ait rêvé à l’École polytechnique, en contemplant les galons d’or de ses officiers tout en inventoriant mentalement son propre langage mathématique. Un tel projet n’aurait eu rien de déraisonnable, puisque naguère les soldats pouvaient concourir pour l’École polytechnique jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, en obtenant de leurs chefs l’autorisation de suivre les cours d’un lycée, si, à cette époque encore bien près de nous, le diplôme de bachelier ès-sciences n’eût été absolument exigé des candidats, au défaut du certificat de l’examen de rhétorique. Or, un jeune homme de vingt et un ans, élevé aux Arts et Métiers, peut bien sans peine apprendre la théorie générale des équations ou approfondir les propriétés des coniques, c’est-à-dire s’assimiler les matières mêmes exigées pour le concours de l’École polytechnique, mais il lui est impossible d’aborder l’étude de la philosophie ou du latin pour avoir le droit de se présenter.

En ce qui concerne l’École centrale, les difficultés sont beaucoup moindres. Aucun diplôme n’est exigé des concurrens, et ceux mêmes qui en sont munis ne jouissent d’aucun avantage à l’entrée. Les épreuves écrites ou orales, purement scientifiques, ne comportent, au point de vue littéraire, que le strict minimum d’une orthographe correcte, sans la composition française, ni le thème allemand imposé aux aspirans polytechniciens. Toutefois, au sortir des Arts et Métiers, l’élève qui souhaite d’aborder l’École centrale doit opter entre deux partis qui tous les deux présentent d’assez graves difficultés pratiques.

Il peut à la rigueur, dans le court espace de temps qui sépare le mois d’août du mois d’octobre, s’assimiler, par un labeur acharné, assez « de spéciales » pour affronter le concours de fin

  1. En dehors des marins, il semble que les jeunes hommes, sortis des Arts et Métiers, ne quittent guère leur mère patrie, probablement par suite de leur ignorance des langues étrangères non enseignées à l’école. Il n’y a pas en tout 100 sociétaires fixés dans les colonies françaises, et encore plus de la moitié de ce nombre doit-il être imputé à l’Algérie et à la Tunisie. On trouve naturellement, en Alsace-Lorraine, plusieurs ex-pensionnaires de Châlons ; mais un seul habite l’Allemagne et un autre l’Empire austro-hongrois. Au contraire, l’Annuaire assigne presque tout le contingent exotique à l’Espagne, l’Egypte, la Belgique et la république Argentine.