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est une énigme ; c’est une des raisons pour lesquelles on a longtemps refusé d’y croire, et traité d’originaux ceux qui s’en occupent ; scepticisme d’autant mieux justifié qu’il s’agit d’un état subjectif, dont il faut admettre l’existence sur la simple parole de celui qui l’éprouve.

Nous ne savons pas si nous parviendrons à faire comprendre la vraie nature de ce phénomène, et si nous aiderons ceux qui ne l’éprouvent pas à se le représenter ; mais nous espérons fermement démontrer que c’est un phénomène réel. La simulation, à ce qu’il nous semble, a généralement un caractère individuel. C’est l’œuvre d’un seul et non de plusieurs ; elle ne donne pas lieu à des effets d’ensemble, qui se répètent d’une génération à l’autre, et dans des pays différens. Il faut surtout prendre en considération le nombre des personnes qui affirment qu’elles ont l’audition colorée ; d’après Bleuler et Lehmann, il y en aurait 12 pour 100 ; M. Claparède, distingué psychologue de l’Université de Genève, qui fait en ce moment même une enquête sur la question, nous écrit que sur 470 personnes qui ont répondu à son questionnaire, 205 ont l’audition colorée, soit 43 pour 100. Cette proportion, bien entendu, ne doit pas être prise à la lettre, car l’immense majorité des individus qui n’éprouvent point le phénomène ne répond point aux questionnaires pour plusieurs motifs, dont le principal est un certain dédain à l’égard des études qu’ils ne comprennent pas. Il n’en est pas moins vrai que M. Claparède a recueilli, sans grand effort, 205 observations, et que ce nombre, ajouté à celui des observations anciennes, donne un total de près de 500 cas. Voilà un amas de documens qui est bien fait pour inspirer quelque confiance. Il faut dire encore que chacun des auteurs qui ont écrit sur la question possède le plus souvent par devers lui l’observation de quelque ami dans lequel il a une entière confiance, de sorte que la résistance à tant de preuves accumulées n’est plus de la sagesse, ni même du scepticisme, c’est de la naïveté.

Nous admettrons donc comme un fait bien réel que quelques personnes éprouvent, à l’audition de certains sons, des impressions de couleur dont la nature varie avec celle du son et l’individualité du sujet.

Le premier auteur qui a signalé ces couleurs produites par des sons est un médecin albinos d’Erlangen, appelé Sachs ; sa publication date de 1812, et forme sa thèse inaugurale de médecine ; ce qu’il décrit, ce sont ses propres impressions et celles de sa sœur. L’observation est très complète et contient déjà une bonne part des détails que l’on retrouve dans les travaux postérieurs.