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deviendront, dans quelques cas, des hallucinations visuelles ; ce fait s’explique logiquement par tout ce qu’on sait sur la parenté de l’image avec l’hallucination et de l’hallucination avec la perception des sens. On a noté, en effet, un petit nombre d’hallucinations dans l’audition colorée ; seulement ces hallucinations sont rares ; elles sont, en outre, incomplètes, peu développées, tout à fait rudimentaires ; elles ne paraissent pas avoir entraîné la conviction des personnes qui les éprouvent. Le professeur de rhétorique qui a fait ses confidences au docteur Pedrono disait qu’il voyait une tache de couleur au-dessus d’une personne qui chantait ; mais il s’exprime peu clairement. — « Pincez une guitare, disait un autre, et aussitôt nous voyons une image colorée qui environne les cordes pincées. » — De tels faits ne prouvent nullement, comme on l’a cru, une exaltation de l’acuité des sens ; ce sont simplement des images mentales extériorisées. N’insistons pas, les observations sont trop peu nombreuses pour nous donner une entière confiance. Quand il s’agit de phénomènes subjectifs, il faut n’avancer que lorsqu’on possède un grand nombre de témoignages concordans. Il nous a suffi d’indiquer l’hallucination comme terme possible d’une imagination trop vive.

Nous venons d’établir la nature mentale des impressions de couleur, nous n’avons pas encore fait comprendre la cause de leur apparition. Nous savons à peu près ce qu’on veut dire quand on prononce cette phrase : « l’a est rouge ; » nous n’avons pas expliqué comment l’idée ou la perception d’un son peuvent éveiller l’idée de cette couleur. Il y a là un problème. Nos idées ont en général une origine logique ; nous avons du moins l’habitude de le croire, et il nous arrive souvent, en faisant l’analyse de nos représentations, de trouver la cause qui les fait apparaître et les a liées ensemble. Si j’entends une cloche et que, sans la voir, je me représente sa forme arrondie, son battant et sa teinte d’un vert foncé, on comprend cette liaison d’idées ; elle est naturelle, utile et vraie ; elle dérive d’expériences antérieures. C’est un morceau du monde extérieur qui est enregistré dans notre esprit. Mais comment se fait-il qu’un a éveille l’image du rouge, et que d’une manière générale les sons se colorent pour certaines personnes ? Ces associations sont factices ; elles ont un caractère purement individuel ; elles ne correspondent à rien dans l’ordre des faits extérieurs ; un son est un son, il n’a rien de commun avec une couleur ; la voix humaine est grave ou aiguë, elle n’est ni jaune, ni verte. Comment cette association s’est-elle créée, comment s’est-elle développée, malgré l’opposition que le bon sens a dû lui faire ? Question bien délicate et que nous sommes loin d’être en mesure de trancher.

Il faudrait, pour ces analyses, avoir à sa disposition un grand