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locomotion et indiqué exactement les « temps à saisir » par les cavaliers pour déterminer tous les mouvemens[1].

Or, l’école de Saumur, à qui, depuis la disparition de l’école de Versailles, incombait la lourde tâche de maintenir au premier rang la réputation de notre équitation française et d’accueillir tous les progrès, a tenu si peu de compte des découvertes de Lancosme-Brèves et de Raabe qu’elle enseigne encore des théories inexactes au sujet des allures et de l’aide du corps, ainsi que le prouve le livre récent du capitaine Sieyès, fidèle interprète du commandant Dutilh. Et si, après avoir longtemps tenu le comte d’Aure à l’écart, elle a fini par l’accepter, chaque écuyer en chef n’a-t-il pas, depuis, imposé ses propres idées, presque toujours fort différentes de celles de son prédécesseur ? De sorte qu’on peut dire, non-seulement qu’il n’y a jamais eu d’unité ni de suite dans l’enseignement de l’école, mais encore que les méthodes les plus contradictoires y ont été successivement appliquées : ç’a été tantôt les étriers longs ou courts, tantôt l’encolure haute ou basse ; tantôt les principes de Versailles, ou ceux de Bohan, ou même une imitation de l’équitation anglaise ; le mors de bride seul, ou les deux, ou le pelham ; la tenue des rênes à la française, ou à l’allemande, ou à l’anglaise.

Il en est résulté pour MM. les écuyers une sorte de dégoût de toute théorie ; ils se font gloire aujourd’hui « de mettre toute leur intelligence dans leurs bottes et dans leur culotte, » c’est-à-dire de s’attacher seulement à la pratique. Or il s’agit de savoir si les maîtres ont eu raison, oui ou non, de dire qu’il n’y a pas de bonne pratique sans théorie, et si les écuyers de notre École de cavalerie, qui se laissent volontiers appeler les « Dieux » de l’équitation, peuvent se vanter de ne vouloir rien lire.

Cette indifférence qu’ils montrent actuellement pour tout enseignement théorique les empêche certainement d’être aussi bons professeurs, et même aussi bons praticiens qu’ils pourraient l’être.

  1. Me sera-t-il permis de rappeler ici que, de mon côté, ayant acquis de plus en plus la conviction que le cheval, comme tout animal, est incapable de faire aucun raisonnement, de connaître quoi que ce soit, j’ai le premier exprimé cet avis que, quelque opinion qu’on ait sur l’intelligence du cheval, le cavalier doit uniquement s’appliquer à produire telle ou telle sensation pour obtenir tel ou tel mouvement et ne jamais employer les corrections sous prétexte de lui faire comprendre qu’il a mal fait ? L’expérience me montre tous les jours davantage que les corrections ne servent qu’à faire naître des habitudes de désordre, que toutes les fois que le cheval résiste, c’est que le cavalier n’a pas su produire les sensations qu’il fallait, ou que l’animal cède à d’autres sensations plus fortes, externes ou internes. C’est sur ces données que j’ai entièrement établi ma méthode de dressage simplifié, qui, tout en acceptant la plupart des principes de l’ancienne École, supprime le travail à la longe et à la cravache, les assouplissemens et flexions en place, et prescrit au début l’emploi des poids progressifs et des pas de côté.