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populations. Ce sera complet et assez peu nouveau ! Assurément, sous tous les régimes ce n’est point un mal qu’il y ait des fêtes publiques, des jours où toute cette masse qui peine au travail ait pour se distraire et s’égayer les revues, les promenades, les illuminations, les spectacles. Rien n’est plus simple, plus avouable surtout que de consacrer par les commémorations populaires tout ce qui a pu relever ou illustrer la vie nationale. C’est de tous les temps et de tous les gouvernemens. Encore faudrait-il se garder de multiplier ces commémorations, ces cultes publics, et d’en faire une banalité ou une représaille rétrospective de parti, une œuvre d’archaïsme révolutionnaire. Il faudrait savoir du moins choisir parmi les événemens du passé et s’interdire tout ce qui ne réveille que des souvenirs de guerre civile.

Lorsqu’il y a plus de dix ans déjà on a choisi le 14 juillet pour en faire une fête nationale, c’était déjà assez risqué. Par lui-même, le 14 juillet, avec son assaut de la Bastille, n’avait précisément rien d’héroïque. La prise d’une vieille citadelle qui ne servait plus qu’à enfermer quelques gentilshommes et qui n’était défendue que par quelques Suisses ou quelques invalides, le massacre du malheureux gouverneur De Launay et de ses compagnons désarmés, ce hideux cortège envahissant pour la première fois l’Hôtel de Ville, tout cela, il faut l’avouer, n’était pas fait pour relever l’esprit et parler au cœur d’une nation généreuse, pour être célébré et fêté. S’il n’y avait eu que le fait brutal, il n’y aurait pas eu de quoi se mettre en frais de guirlandes et de lampions après cent ans écoulés ; mais le 14 juillet 1789, dégagé des souvenirs sanglans et perdus dans l’oubli, est devenu une date légendaire, presque unique dans l’histoire. Il a été, il reste, l’expression d’un des plus grands mouvemens qui aient ébranlé l’humanité, de la révolution française dans son premier essor, à une heure où elle ralliait encore toutes les bonnes volontés, avant les cruelles expériences et les mécomptes. Cette date, elle est l’aurore de 1789 ; elle représente les idées, les vœux, les progrès, les espérances qui se résument dans ces mots de révolution française, qui sont devenus l’âme et l’essence de la société moderne à travers toutes ses épreuves. Le 14 juillet, c’est la condensation, dans un mot et dans une date, de tout ce qui a duré, de tout ce qui a survécu de la grande époque. Il a été adopté pour la fête nationale de la révolution française, il est entré dans les mœurs, il reste consacré comme la date privilégiée : soit ! mais alors où était la nécessité d’aller chercher cet autre centenaire du 22 septembre 1792 qui vient d’être célébré, ce nouvel anniversaire qui n’est qu’un redoublement du 14 juillet ou qui ne peut avoir qu’une signification irritante de défi et de guerre intestine ? Celui-là, il n’avait point été évidemment réclamé par l’instinct public : on ne l’attendait pas pour savoir que la république avait existé autrefois ; il a été reçu avec plus de surprise