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l’Europe ? Est-ce la suite d’un état général, d’une situation diplomatique et militaire où l’on s’accoutume à vivre en s’observant, où les plus hardis ne sont pas pressés de prendre l’initiative et la responsabilité de nouveaux conflits ? Est-ce enfin l’effet de la saison ? Toujours est-il que depuis longtemps l’Europe n’avait eu un plus paisible automne et n’avait paru moins troublée, moins disposée à s’émouvoir de tout et à s’agiter au premier bruit répandu dans l’air. On reviendra assez tôt à la vie affairée, aux incidens et aux complications toujours possibles, aux négociations laborieuses, aux questions délicates, à tout ce qui divise et émeut les peuples. On n’en est pas là pour le moment ; on en est tout au plus au lendemain de ces fêtes de Gênes, dont le centenaire de Christophe Colomb a été l’occasion, mais qui, en réalité, ont été les fêtes de tout le monde, une occasion pour l’Italie et ses souverains d’échanger des courtoisies et des politesses avec les escadres étrangères, particulièrement avec l’escadre française. Il est certain que si on avait des doutes et si on s’est livré à bien des commentaires sur cette visite de nos navires aux côtes d’Italie, les nuages ont bientôt disparu ; que tout s’est passé avec une correction parfaite dans la cordialité, que rien n’a été négligé pour relever l’éclat et accentuer la signification de l’accueil fait à notre escadre. M. l’amiral Rieunier a représenté la France avec une dignité simple et courtoise ; le roi Humbert et la reine Marguerite ont mis leur bonne grâce à visiter nos vaisseaux, à accepter une fête à bord du vaisseau-amiral, le Formidable. Nos marins ont été de toutes les réceptions officielles ou populaires. Rien de mieux : encore une fois tout s’est bien passé, tout a bien fini. Évidemment, cela ne veut point dire qu’il y ait rien de changé dans l’ensemble des rapports généraux de l’Europe, surtout dans le jeu des alliances : après comme avant les feux d’artifice, il n’en est ni plus ni moins. Ces fêtes de Gênes ne sont pas moins le signe des dispositions intimes des deux nations, liées par les souvenirs, et restent l’incident brillant de ces temps d’automne, de ces jours d’activité ralentie.

Tout est au repos, sans doute, du moins en apparence ; dans le fond rien ne s’arrête, rien n’est suspendu, pas plus dans la vie intérieure que dans la vie extérieure des peuples et, pendant que s’éteignent par degrés les bruits des salves de Gênes, tous les pays ont leurs affaires. L’Italie elle-même s’achemine à pas pressés vers des élections qui décideront peut-être de la politique du jeune royaume et, dans tous les cas, de la durée du ministère présidé par M. Giolitti. L’Angleterre entre sans fracas et sans précipitation dans l’ère libérale ouverte par l’avènement du ministère Gladstone. La Belgique est tout entière encore à la révision constitutionnelle, dont une commission prépare laborieusement le programme et qui va être la grande affaire de l’assemblée constituante élue il y a quelques mois. La Hollande,